«Homme d’État au destin français. Inépuisable artisan de notre Europe. Combattant pour la justice humaine.» C’est en ces termes élogieux qu’Emmanuel Macron a réagi à la disparition de Jacques Delors, le 27 décembre dernier. Ce vendredi 5 janvier 2024, le chef de l’État livrera un panégyrique plus complet à la mémoire de l’ancien président de la Commission européenne, lors de l’hommage national qui lui sera rendu aux Invalides. L’exercice lui est cher : depuis le début de son premier mandat, le président de la République aura prononcé pas moins de 22 hommages nationaux. Aucun président de la République n’en avait fait autant.
En quoi consiste ce cérémonial très codifié ? «L’hommage national est une cérémonie officielle généralement destinée aux militaires morts pour la France, même si certaines personnalités civiles au destin exceptionnel ont été ainsi honorées après leur décès», précise le site du gouvernement. Cette cérémonie a aussi été organisée pour les victimes des attentats terroristes. Distinction officielle de la République française, elle ne peut être décidée que par le chef de l’État lui-même. Celui-ci prononce un éloge funèbre, traditionnellement dans la cour d’honneur des Invalides, lieu symbolique s’il en est pour l’imaginaire militaire.
Ces hommages sont plutôt rares sous Jacques Chirac, qui est toutefois le premier à honorer une personnalité civile, avec l’hommage au commandant Cousteau en juin 1997, puis un homme d’État, en la personne de Jacques Chaban-Delmas. Nicolas Sarkozy, lui aussi, honorera peu les «non-militaires», en dehors de Philippe Séguin (janvier 2010) et du réalisateur et romancier Pierre Schoendoerffer. Lui aussi innove toutefois, puisque Schoendoerffer, notamment connu pour ses romans sur l’Indochine qu’il adapta lui-même au cinéma (Le Crabe-Tambour, La 317ème section…), est le premier artiste à recevoir cette distinction.
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C’est sous François Hollande que ce rituel républicain devient monnaie courante. Là où ses prédécesseurs s’étaient contentés de quelques rares entorses à la tradition, le président socialiste généralise les hommages aux civils. Sur les 21 hommages nationaux qu’il prononce, cinq seulement concernent des militaires morts pour la France. Il salue ainsi la mémoire de plusieurs hommes d’État, comme Pierre Mauroy (juin 2013) ou Michel Rocard (juillet 2016), mais aussi de grandes figures intellectuelles comme les historiens Jean-Louis Crémieux-Brilhac (avril 2015) et Alain Decaux (avril 2016), sans oublier des personnalités aux destins exceptionnels, comme l’écrivain et résistant Stéphane Hessel (mars 2013). Le quinquennat Hollande est aussi marqué par la multiplication des attentats terroristes, qui donnent souvent lieu à des hommages nationaux. Ce fut le cas notamment pour les victimes du 13 novembre 2015, celles de l’attentat de Nice (juin 2016), ou le couple de policiers assassiné à son domicile de Magnanville.
Cette sorte de frénésie mémorielle s’est poursuivie sous Emmanuel Macron, qui prononce ce 5 janvier son 22e discours d’hommage national pour Jacques Delors. En dépassant François Hollande, qui n’a certes pas bénéficié d’un second mandat, il devient le président de la République ayant présidé le plus grand nombre de ces cérémonies. Seulement quatre d’entre elles honoraient des militaires morts pour la France (cinq en comptant l’héroïque officier de gendarmerie, Arnaud Beltrame). Même si aucune date n’a encore été transmise, l’Élysée a d’ores et déjà été annoncé qu’un 23e hommage national serait organisé pour les victimes françaises des attaques du Hamas le 7 octobre dernier.
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Fait marquant, Emmanuel Macron semble vouloir mettre un point d’honneur à honorer des personnalités littéraires, avec l’écrivain Jean d’Ormesson (décembre 2017) ou le comédien Michel Bouquet (avril 2022), ainsi que les artistes iconiques pour les Français, comme le chanteur Charles Aznavour (octobre 2018) ou l’acteur Jean-Paul Belmondo (septembre 2019). À moins que le hasard ait voulu qu’un grand nombre d’éminentes personnalités françaises aient rendu l’âme sous son mandat.
Toujours est-il qu’à ces occasions, l’Élysée a parfois innové dans un cérémonial pourtant très strict, avec par exemple la musique du film Le Professionnel jouée par la Garde républicaine pour Bébel, ou le dépôt d’un crayon à papier sur le cercueil de Jean d’Ormesson. Surtout, Emmanuel Macron a parfois rompu avec la sacro-sainte cour d’honneur des Invalides. C’est dans une autre cour d’honneur, celle de la Sorbonne, qu’a eu lieu l’hommage à Samuel Paty (octobre 2020). Pour le peintre Pierre Soulages (novembre 2022), ce fut aussi la cour carrée du Louvre.