Ce lundi 19 février 2024, la Constitution de la Ve République est devenue la plus durable de toute l’Histoire constitutionnelle française. Après 65 ans, quatre mois et 16 jours d’existence, le texte fondamental de 1958 a battu le record de longévité détenu jusqu’ici par la première loi constitutionnelle de la IIIe République.
Comparaison n’est pas toujours raison. Ce que l’on désigne comme «la Constitution» de la IIIe République n’en est pas exactement une et a peu à voir avec le texte de 1958. Il s’agit en réalité de trois «lois constitutionnelles», votées par l’Assemblée nationale entre février et juillet 1875. Les écoliers apprennent sommairement au primaire que la IIIe République a été proclamée le 4 septembre 1870, ce qui est exact. Mais l’Histoire insiste peu sur le fait que la restauration de la monarchie était clairement à l’ordre du jour dans les mois qui ont suivi, les monarchistes étant majoritaires à l’Assemblée. La République s’est progressivement enracinée comme une solution de compromis sur le terreau de la division des monarchistes. «Cette période aurait pu déboucher sur tout autre chose qu’une République parlementaire», résume Olivier Dard, professeur d’Histoire à la Sorbonne. La République s’assoit finalement avec le fameux amendement Wallon, qui inscrit dans la première loi constitutionnelle de février 1875, l’élection du «président de la République» par l’Assemblée nationale.
À lire aussiDe Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand… Les derniers secrets de Michèle Cotta
Longévité ne signifie pas nécessairement pérennité. Ces lois constitutionnelles de la IIIe République ont été peu révisées, trois fois seulement en 1879, 1884 et 1926. À l’inverse, pas moins de 24 réformes constitutionnelles ont été votées depuis 1958. Certaines ont radicalement transformé le fonctionnement des institutions : élection du président de la République au suffrage universel en 1962, saisine du Conseil constitutionnel par 60 députés ou sénateurs en 1974, révision en vue de la ratification du traité de Maastricht en 1992, le passage au quinquennat en 2000, sans oublier la grande réforme de 2008, qui modifie près d’un tiers du texte. «La Constitution de 2024 n’a plus grand-chose à voir avec celle de 1958», conclut Marcel Morabito, professeur de droit constitutionnel à Sciences Po (Histoire constitutionnelle de la France de 1789 à nos jours, LGDJ, 2022).
«D’un autre côté, les lois constitutionnelles de 1875 fixaient un cadre très général : la pratique des institutions évoluait sans contrôle ni réforme», poursuit Marcel Morabito. Une flexibilité institutionnelle qui a permis à la IIIe République de traverser de graves crises, du boulangisme à l’affaire Dreyfus en passant par la première guerre mondiale, en dépit de la grande instabilité ministérielle qui l’a caractérisée. À l’inverse, la Ve République a permis de dégager des majorités parlementaires stables, mais affaiblies et dominées par le pouvoir exécutif. «La Ve a survécu à la disparition politique puis physique du Général de Gaulle, souligne Olivier Dard. Par la suite, elle n’a pas traversé de crises aussi graves que son aînée, à l’exception peut-être de Mai 68.»
Ne nous y trompons pas, la longévité de la Ve République n’a pas encore dépassé celle de la IIIe. Il s’agit seulement des constitutions. En effet, le 4 septembre 1870 reste la date officielle de la naissance de la IIIe République, soit plus de quatre ans avant la première loi constitutionnelle de 1875. Par conséquent, la IIIe République est encore aujourd’hui la plus pérenne de l’Histoire de France, avec 69 ans, 10 mois et 6 jours d’existence. Il faudra patienter encore un peu pour que la Ve République la dépasse : rendez-vous le 4 août 2028 !