Les cadres du Rassemblement national (RN) sont-ils trop pessimistes ? Aucun d’entre eux, en coulisse, n’aurait parié que Jordan Bardella, président du parti et tête de liste pour les élections européennes, avait gagné son duel face au premier ministre Gabriel Attal, jeudi soir sur France 2. Ils avaient intégré que leur champion, l’homme aux punchlines, rarement mis en difficulté, avait concédé, au minimum, « un match nul » face à son alter ego.
« C’est difficile d’être face au premier ministre », expliquait un proche de Marine Le Pen, avant d’enchérir : « Il a de nombreux conseillers, de nombreux services qui lui envoient des notes, des fiches ». « Matignon, c’est une tour de contrôle, tu vois tout, tu sais tout », disait un autre pour mieux analyser ce qu’il s’était passé la veille. « C’est une base de travail », a assuré un troisième. « Gabriel Attal est un très bon débatteur », a lancé un autre, qui trouvait des qualités à l’homme honni par les électeurs du RN. Il fallait donc être lucide. « Cette fois, Jordan Bardella a trouvé plus fort que lui », a dit un de ses proches.
Il y avait quelques heureux tout de même. « Ce qui compte, c’est que Jordan ait débattu avec un premier ministre. Ça l’installe. Les Français retiendront tout cela», a pointé un membre de la campagne du poulain de Marine Le Pen. Et d’autres qui regrettaient que le président du RN ait manqué de pouvoir répondre sur les thèmes favoris du parti nationaliste : la priorité nationale et l’immigration. «Sur la priorité nationale, et face au discours de Gabriel Attal, il aurait pu citer les chiffres de la balance commerciale française», expliquait un cadre.
Jordan Bardella avait donc montré des lacunes. Mais tous les cadres RN minimisaient finalement ce débat, qu’ils avaient pourtant ardemment demandé depuis des mois. Ce devait être aussi un moment personnel pour l’héritier du marinisme, en qui beaucoup placent de l’espoir. N’est-il pas le futur premier ministre de Marine Le Pen, si elle arrivait au pouvoir en 2027 ? Et donc remplacer… Gabriel Attal?
Mais tout ça, c’était avant. Avant qu’un sondage Odoxa ne vienne donner du baume au cœur des lieutenants de Marine Le Pen et de Jordan Bardella. Dans cette enquête, relayée sur les tous les réseaux sociaux par tous les comptes possibles du RN, 63% des Français sondés, qui ont regardé le débat de bout en bout, ont jugé Jordan Bardella meilleur que Gabriel Attal. Ils n’étaient que 36% à donner le point au premier ministre descendu dans l’arène pour défendre sa tête de liste, Valérie Hayer. Du pain béni pour les cadres RN, soulagés que les éléments de langage relayés le soir du débat soient «confirmés» par ce sondage.
Entre-temps, Marine Le Pen et Jordan Bardella avaient déjà écrit leurs discours respectifs et ont réuni leurs électeurs (4000 selon le RN) à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), pour un meeting au cœur du fief électoral de la «candidate naturelle» du RN pour 2027. Ces discours devaient transformer le match nul en victoire éclatante du marinisme sur le macronisme. C’était surtout de l’autosatisfaction. Jordan Bardella et Marine Le Pen étaient trop heureux de refaire le match avec Gabriel Attal.
«Question très simple : qui peut prétendre que la France en 2024 est en meilleur état qu’en 2017 ?», a lancé Marine Le Pen dans un discours de 20 minutes, avant son poulain. Sans surprise, elle a fustigé le bilan sécuritaire et économique d’Emmanuel Macron. Et de s’en prendre au premier ministre : «Ces résultats calamiteux n’ont pas poussé Gabriel Attal à la modestie. L’autocritique ne fait pas partie de leur univers». «Le pyromane Macron a dépêché le pompier Attal pour sauver le soldat Hayer», a-t-elle raillé. Avant de finir par un vibrant : «Plus que jamais cher Jordan, nous sommes unis derrière toi».
Sur scène, Jordan Bardella s’est lancé dans une explication de sa prestation télévisée : «J’ai fait face hier soir, essayant de défendre la vérité, au premier menteur de France, Gabriel Attal (…) J’ai compté : Gabriel Attal m’a coupé la parole toutes les 13 secondes. Son unique obsession : le RN, le RN, le RN et en fin d’émission… le RN». «Il y a ceux qui parlent du RN et ceux qui parlent de la France, ceux qui défendent des dogmes et ceux qui défendent les gens», a-t-il lancé sous les vivats de «Jordan, on t’aime».
L’héritier de Marine Le Pen peut en tout cas se satisfaire d’une chose : sa liste est mesurée à 33% d’intentions de vote dans notre sondage quotidien Ifop-Fiducial, contre 16% pour la liste Renaissance. Les deux figures du RN n’ont pas oublié de lancer un «appel à la mobilisation» de leurs électeurs à 16 jours du scrutin. C’était d’ailleurs tout l’enjeu du débat face à Gabriel Attal.