Assiettes en main, la cinquantaine de convives s’entasse au premier étage du restaurant parisien. Certains tentent tant bien que mal de se frayer un chemin jusqu’au buffet, où s’arrachent les rondelles de saucisson. «Qui a eu l’idée de choisir l’ambassade d’Auvergne ? C’est le bordel !», lâche le lobbyiste pro-chasse, Thierry Coste, coincé derrière une porte. C’est dans ce temple de l’aligot que son «vieil ami» et patron de la Fédération nationale des chasseurs (FNC), Willy Schraen, a dévoilé ce mardi les contours de sa liste «Alliance rurale», à six mois des élections européennes. «Notre combat n’est pas celui d’irréductibles Gaulois réfractaires. Notre combat consiste à préserver des modes de vie ruraux fondés sur des valeurs modernes », insiste-t-il, devant une grappe de micros. Le Nordiste, qui endosse la tête de liste, veut défendre «une ruralité heureuse» qui «demande simplement qu’on lui foute la paix».

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«Qui mieux que des ruraux pour défendre cette formidable ruralité française ?», lance-t-il, entouré de ceux qui figureront sur la liste. Peu de noms pour l’instant, parmi lesquels la «reine d’Arles», Camille Hoteman, l’international de rugby, Louis Picamoles, ou le maire de Saint-Brès (Hérault), Laurent Jaoul, un temps proche de LR. En bon chasseur, Willy Schraen se garde d’exposer ses plus belles prises. «J’attends la réponse de quelques très très grandes personnalités. Je ne peux pas le dire, mais ça va être terrible !», se marre-t-il. Une semaine plus tôt, au micro de France Inter, il jurait avoir convaincu le chef multi-étoilé Pierre Gagnaire de rejoindre l’aventure en position non-éligible. Flanqué de ses fidèles, le Nordiste pavoisait même derrière les fourneaux du cuisinier de 73 ans, trinquant à la ruralité et aux européennes. Mais la mayonnaise n’a pas pris, le restaurateur préférant se rétracter à la dernière minute. «Pierre a toujours été un soutien de la cause, mais il n’a pas le temps pour se lancer avec nous. Et puis, c’est quelqu’un qui a un peu d’âge», tente de justifier Willy Schraen, un brin confus. Le champion du cyclisme Bernard Hinault, pressenti pour figurer sur la liste, a lui aussi préféré rétropédaler.

Dans leur démarchage, les chasseurs ont manqué une autre cible convoitée : l’ex-patronne de la FNSEA, Christiane Lambert. La syndicaliste cochait toutes les cases : une femme, éleveuse porcine et engagée pour la ruralité. «Je lui avais proposé de prendre la tête de la liste, mais elle a décliné. Là, on a perdu le match», raconte le conseiller de l’ombre, Thierry Coste. En coulisses, le lobbyiste ne cache pas ses doutes sur le choix de confier la tête de liste à Willy Schraen, qui rêve depuis longtemps de politique nationale. Il s’y était d’ailleurs opposé, redoutant une image trop axée sur la chasse, au détriment de la ruralité. «Ils se sont mis une balle dans le pied en choisissant Willy. Il y a des anti-chasse qui habitent dans la ruralité qui auraient pu voter pour une liste comme la leur», souffle un cadre de Chasse, pêche, nature et traditions (CPNT).

Qu’importe, Willy Schraen continue son bout de chemin. «Nous ne sommes pas une liste de chasseurs», martèle-t-il encore, micro en main. Le patron de la FNC s’agace surtout que l’on murmure que la liste serait une opération macroniste pour tenter d’affaiblir le Rassemblement national (RN). «Nous ne sommes pas au cœur d’un stratagème pour servir Emmanuel Macron, ni les soldats occultes d’un parti politique. Nous ne sommes pas à vendre !» Des bruits accrédités par la proximité avec Emmanuel Macron dont Thierry Coste se prévaut depuis longtemps. Mais le lobbyste dément : «Je n’en ai parlé à Emmanuel Macron qu’une seule fois par SMS, en avril. Nous n’en avons pas reparlé depuis.» Au demeurant, dans l’entourage présidentiel, on est sceptique sur l’impact sur le vote RN. «Leurs électeurs ne se détourneront pas d’eux. La liste des chasseurs peut plutôt piquer des voix aux LR, mais prendre aussi chez ceux qui en ont ras le bol des partis et veulent se faire plaisir, soupèse un cadre de la macronie. C’est un peu comme le vote animaliste, mais avec la cause inverse !»

En attendant, c’est plutôt au sein de la FNC que le lancement de la liste provoque quelques remous. «À la fédération, l’initiative agace un paquet de gens, qui n’ont pas envie de se faire instrumentaliser alors qu’ils passent leur temps à dire qu’ils sont apolitiques», glisse un élu bien introduit dans le monde de la chasse.