Une erreur gravée dans le marbre. Le résistant arménien Missak Manouchian, récemment entré au Panthéon, est né en 1909, et non pas en 1906, comme l’indique la stèle de sa sépulture dans la nef du Panthéon. Ce dernier a donc été exécuté par les Allemands en février 1944 à l’âge de 34 ans, et non pas 37.

Une découverte toute récente, à la lumière d’un croisement fortuit entre les travaux de recherche de la famille Manouchian à Erevan, et de l’exposition en l’hommage du résistant, qui prend place dans les arcanes du mausolée à Paris.

Tout commence dans la capitale arménienne. En mai 2023, Katia Guiragossian, petite nièce de Mélinée, la compagne de Missak, découvre lors d’une visite au musée d’art et de littérature d’Erevan une dizaine de carnets écrits en arménien de la main du résistant. Ayant vent de la nouvelle, l’historien Denis Peschanski, qui dirige l’exposition «Vivre à en mourir» mettant à l’honneur Missak et Mélinée en même temps qu’elle relate le rôle des Francs-Tireurs et Partisans de la Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) dans la Seconde guerre mondiale, groupement auquel appartenait Missak, demande à se procurer ces carnets.

Trois d’entre eux arrivent jusqu’à Paris le 22 février, à la veille de l’ouverture de l’exposition. Denis Peschanski les place ouverts sous une vitrine. «On venait tout juste de découvrir l’existence de ces cahiers, confesse le commissaire au Figaro. Donc le travail de traduction de ces pages, écrites en français et en arménien, n’avait pas encore été fait». Quelques minutes après, la famille Manouchian arrive au Panthéon pour découvrir l’exposition en avant-première.

Dès leur arrivée, les descendants de Missak Manouchian expliquent au commissaire qu’une tradition orale transmise au fil des générations affirme que le résistant s’est vieilli de trois ans pour pouvoir aller travailler en France. En 1924, lorsque Missak quitte son orphelinat de Beyrouth pour rejoindre son frère Garabed en France, il a alors 15 ans. Trop jeune pour pouvoir exercer un travail, le résistant recule sa date de naissance en débarquant sur l’Hexagone pour travailler dans un chantier dans le Sud, à la Seyne-sur-Mer. «Je n’avais jamais entendu parler de cette histoire», avoue Denis Peschansky.

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Ce récit se révèle rapidement avéré : Louisa et Hasmik , arrière-petites-nièces du résistant arménien, se penchent sur la vitrine et déchiffrent, fascinées, les quelques lignes inscrites dans le journal en arménien. « Je n’ai pas le souvenir d’un moment de paix dans ma vie», écrit alors le jeune apatride, tout juste arrivé à Paris, dans une traduction rapportée par Le Monde . «J’ai toujours été en lutte avec moi-même. J’ai 25 ans et j’aimerais comprendre où va s’achever cette vie turbulente. Je voudrais me livrer mais il semble qu’on a posé une pierre sur mon cœur. Soucis matériels et moraux se succèdent. Où me mènera cette vie turbulente ? »

Le calcul est rapidement fait. La page est écrite en février 1935, et le jeune écrivain affirme avoir 25 ans. L’auteur s’est donc bien vieilli de 3 ans. Dans les années 1920, une telle pratique était fréquente chez les immigrés qui venaient en France, afin d’avoir l’âge légal pour travailler. «À cette époque», explique Denis Peschanski, «la France manque considérablement de main-d’œuvre au sortir de la Première guerre mondiale et embauche à tour de bras.»

En parallèle, le contexte arménien est particulier : vingt ans après le génocide des Arméniens qui a décimé un million de personnes, les archives et actes de naissance ont pour beaucoup été détruits après la profanation des églises chrétiennes, qui conservaient les actes de naissance des sujets arméniens ottomans. Missak Manouchian file donc en France en modifiant au passage cette date de naissance. «Cette histoire, c’est celle de beaucoup d’immigrés qui débarquent en France dans les années 1920», pointe le commissaire d’exposition qui se remémore un « moment très touchant, une découverte émouvante». «La famille Manouchian a activement participé à lever le voile sur les zones d’ombre de la vie de Missak». Pour le spécialiste, cette découverte «renvoie aussi à la jeunesse des combattants pendant la Seconde guerre mondiale. Quand Manouchian a été exécuté, il avait à peine 34 ans !».

Faut-il pour autant regraver la stèle du Panthéon ? «Cette fausse date n’a aucune importance », tranche l’expert. «Cette erreur donne un éclairage supplémentaire à l’époque dans laquelle vivait Manouchian. Il nous reste encore beaucoup de choses à découvrir sur lui», poursuit Denis Peschanski, qui insiste sur la nature évolutive de la science historique. C’est d’ailleurs par hasard qu’il a pris connaissance des deux demandes de naturalisation française qu’avait faites le résistant communiste, au détour d’une discussion avec un archiviste à peine quelques mois plus tôt. «Tout ça fait partie de sa légende, sourit le commissaire. Panthéoniser quelqu’un offre à chaque fois la possibilité d’approfondir la recherche historique.»