À chaque remaniement, la polémique revient comme une rengaine. Depuis la réélection d’Emmanuel Macron en 2022, aucun ministre de l’Éducation nationale n’y aura échappé. Ce 12 janvier, au lendemain de sa nomination rue de Grenelle, la nouvelle ministre de l’Éducation nationale Amélie Oudéa-Castéra a suscité des réactions indignées de la gauche et des syndicats, en assumant devant la presse son choix de scolariser ses enfants dans le privé. Ses trois garçons, âgés de 17, 15 et 13 ans, sont inscrits au collège-lycée Stanislas, un établissement privé catholique du 6è arrondissement de la capitale.

La même controverse avait visé Pap Ndiaye, juste après son arrivée rue de Grenelle en 2022. Les deux enfants du ministre étaient scolarisés à l’École alsacienne, un établissement privé laïque également situé dans le 6e arrondissement de Paris, prestigieux et élitiste. «Il y a des moments qui, dans le développement de l’enfant, peuvent être compliqués, s’était-il justifié. C’est le choix de parents d’enfants pour lesquels à un moment, les conditions d’une scolarité sereine et heureuse n’étaient plus réunies.»

Alors même qu’il n’a pas d’enfants, son successeur Gabriel Attal n’avait pas non plus échappé à la polémique. Pointé du doigt pour avoir effectué toute sa scolarité dans le privé, là encore à l’École alsacienne, le jeune ministre s’en était justifié lors de son discours d’entrée rue de Grenelle : «Oui j’ai été à l’école privé. Je n’ai pas à renier ou à m’excuser pour ce choix qu’ont fait mes parents à l’époque comme le font des millions de parents chaque année. Et je ne crois pas que le combat doit être de critiquer les parents qui font ce choix. Le combat, c’est au contraire de garantir que l’école, toute l’école, puisse apporter aux parents, à tous les parents, l’essentiel de ce qu’ils attendent pour leurs enfants.»

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En réalité, cette situation n’est pas nouvelle, même si elle est devenue la règle depuis 2022. Ministre de l’Éducation nationale tout au long du premier quinquennat Macron, Jean-Michel Blanquer avait scolarisé trois enfants sur quatre dans le public. La quatrième avait alterné entre privé et public.

Sous Jacques Chirac, c’était le cas pour au moins trois des six locataires de la rue de Grenelle qui se sont succédé. François Bayrou, en poste de 1993 à 1997, avait déclaré à nos confrères du Monde que sur ses six enfants, «trois étaient alors à l’école publique, et trois dans l’école privée». Luc Ferry, qui fut à la tête de l’Éducation nationale de 2002 à 2004, confessait de même avoir scolarisé ses trois filles dans un établissement de l’Ouest parisien. «Ma femme est catholique. De mon côté, je tenais à ce que mes filles reçoivent une éducation religieuse», se justifiait-il. Même choix pour son successeur de 2004 à 2005, un certain François Fillon.

«Moi, j’ai des enfants dans le public et le privé, avait aussi déclaré au Parisien Luc Chatel, locataire de la rue de Grenelle de 2010 à 2012, sous Nicolas Sarkozy. Selon les enfants, vous vous dites qu’il y a un système peut-être mieux adapté. Les deux systèmes ont à s’enrichir mutuellement. Le privé sous contrat pratique depuis longtemps la différenciation dans les méthodes d’enseignement, le travail en équipe. Mais le public n’a pas à rougir avec ses innovations. Pour l’accueil des enfants handicapés, je pense aussi qu’il est plus performant.»

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Fidèles à l’attachement traditionnel de la gauche pour l’école publique, les ministres de l’Éducation nationale de François Hollande y avaient tous placé leurs enfants. En poste de 2016 à 2017, Najat Vallaud-Belkacem avait pourtant été mise en cause par Nicolas Dupont-Aignan. Sur un plateau de télévision, le député de l’Essonne avait laissé entendre que ses jumeaux, alors en CP, étaient scolarisés dans le privé. Mais la ministre avait démenti : «C’était une affirmation totalement mensongère, mes enfants sont évidemment dans le public.» Vincent Peillon, son prédécesseur de 2012 à 2014, avait lui aussi déclaré que tous ses enfants étaient scolarisés dans le public. Entre les deux, Benoît Hamon, alors père de deux petites filles de 2 et 6 ans, fit un passage fugace rue de Grenelle, de mai à août 2014. «Mes deux enfants sont dans une école publique, en banlieue», déclarait-il trois ans plus tard au Parisien .

Au fond, les ministres du second quinquennat Macron dénotent de leurs prédécesseurs sur au moins deux aspects. D’abord, Pap Ndiaye est le premier locataire de la rue de Grenelle marqué à gauche à avoir déclaré publiquement que ses enfants étaient scolarisés dans l’enseignement privé. À l’exception, peut-être, de Jean-Pierre Chevènement. Celui qui fut ministre de l’Éducation nationale de Mitterrand, entre 1984 et 1986, aurait en effet lui aussi eu recours à l’École alsacienne. Mais cette solution n’aurait été que passagère, lors d’un déménagement, alors que Chevènement n’était pas rue de Grenelle.

Alors que les ministres concernés passaient aux aveux gênés et ménageaient l’enseignement public, Amélie Oudéa-Castéra, elle, a choisi d’assumer très clairement la scolarisation de ses enfants à Stanislas. La nouvelle ministre de l’Éducation nationale a ainsi évoqué «la frustration» de voir «un paquet d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées» lorsque son fils était à l’école de Littré. «À un moment on en a eu marre, comme des parents de milliers de familles qui ont fait un choix d’aller chercher une solution différente.» Si la déclaration a le mérite de la clarté, elle a suscité la colère des syndicats de l’enseignement et prête le flanc aux attaques de la gauche.