Il ne reste plus que quelques jours aux uns et aux autres pour figer définitivement leurs positions. La semaine prochaine, les parlementaires sont en effet appelés à se prononcer sur le plan de soutien de la France à l’Ukraine, dans le conflit qui oppose Moscou à Kiev depuis plus de deux ans. Annoncé par Emmanuel Macron au lendemain de sa sortie controversée sur un éventuel envoi de troupes occidentales en renfort de Kiev, ce débat suivi d’un vote doit se tenir dans les deux chambres: mardi à l’Assemblée, puis mercredi au Sénat. Pour permettre aux forces politiques d’y voir le plus clair possible sur le conflit, avant d’exiger une prise de position publique de la représentation nationale, le président de la République a décidé de convier à l’Élysée, ce jeudi matin, l’ensemble des chefs des partis du Parlement.

Y compris, donc, le lepéniste Jordan Bardella (RN) et le mélenchoniste Manuel Bompard (LFI), qu’il accuse pourtant d’être idéologiquement proches du Kremlin. Avant de les recevoir, le chef de l’État a également rencontré mercredi soir ses deux prédécesseurs, François Hollande et Nicolas Sarkozy. Décidée au titre de l’article 50-1 de la Constitution, la discussion convoquée au Parlement «peut, si (l’exécutif) le décide, faire l’objet d’un vote» sans toutefois «engager (la) responsabilité (du gouvernement)». Même dans le cas d’un très improbable rejet de l’accord de soutien à l’Ukraine (lire ci-contre), rien n’obligerait donc Gabriel Attal à démissionner. Le premier ministre peut donc aborder sereinement la séquence, lui qui devra défendre le pacte signé le mois dernier par Emmanuel Macron et son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, pour une aide civile et militaire à horizon «de dix ans».

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Contestée sur certains bancs, l’initiative est jugée «très positive» par le député Renaissance Benjamin Haddad, fin connaisseur du sujet ukrainien. «Le gouvernement et la majorité vont pouvoir porter un message de fermeté et plaider pour pérenniser notre soutien à l’Ukraine. Sur ce type de sujet, nous sommes capables de dégager des majorités transpartisanes assez larges avec Les Républicains, les socialistes, les Verts, etc», se réjouit-il. «Le fait qu’il y ait un vote mettra tout le monde devant ses responsabilités», prévient-il encore, avant d’attaquer le Rassemblement national et La France insoumise sur ce qu’il estime être un «alignement total avec les positions de Moscou».

Le scrutin a beau être symbolique, il n’en permettra pas moins au camp Macron de cliver. Quitte à verser pour ce faire dans le manichéisme, en résumant le camp du Bien à ceux qui voteraient pour après les prises de parole de Gabriel Attal (premier ministre), Sébastien Lecornu (Défense) et Stéphane Séjourné (Affaires étrangères). Tandis que ceux qui voteraient contre seraient renvoyés à leur supposée «complaisance» vis-à-vis du régime de Vladimir Poutine. Une logique que les oppositions jugent caricaturale, voire simpliste, et dans laquelle elles refusent de se laisser enfermer. «Nous avons toujours été en soutien à l’Ukraine. Mais tout va dépendre de ce que le premier ministre va dire dans son discours. Va-t-il défendre un élargissement de l’Union européenne? Va-t-il clarifier l’utilisation du terme “dissuasion”?», interroge Jean-Philippe Tanguy (RN).

«Les modalités du soutien de la France à l’Ukraine sont tout de même un petit sujet… Comme la position du gouvernement change assez régulièrement, il n’est pas possible pour nous de nous positionner à l’avance», abonde le secrétaire général du groupe RN, Renaud Labaye, qui précise que les mots du président ce jeudi, puis ceux du premier ministre mardi prochain, auront leur importance dans la décision des lepénistes. Les Insoumis, eux, ont déjà tranché. Ils considèrent que «les déclarations récentes» d’Emmanuel Macron «vont bien au-delà des accords de sécurité avec l’Ukraine». «On va nous demander de valider l’ensemble de la politique du gouvernement sur le sujet. Or, elle est brouillonne, confuse et fluctuante», cingle le député LFI Arnaud Le Gall, spécialiste des questions internationales. Avant de poursuivre: «Les déclarations récentes d’Emmanuel Macron nous isolent, nos alliés se sont tous empressés de contester ce qu’il dit. Il n’est pas question de lui donner quitus, nous voterons donc contre la déclaration de Gabriel Attal.»

Dans les autres camps aussi, on ne cache pas non plus certaines réticences quant aux prises de position du chef de l’État sur le sujet ukrainien. «Le président a eu des propos étranges. Nous avons évidemment envie d’exprimer un soutien sans réserve à l’Ukraine. Mais nous avons aussi la volonté de signifier notre grande vigilance, voire notre méfiance, à l’égard du chef de l’État, dont les positions sont extrêmement variables sur le sujet», prévient le président du groupe LR à l’Assemblée, Olivier Marleix. Et de poursuivre: «Pendant la présidentielle de 2022, il s’est mis en scène comme jouant les intermédiaires avec Poutine ; désormais, c’est le plus va-t-en-guerre et il est désavoué par tous les chefs d’État européens.» Une fois n’est pas coutume, les réserves de la droite sont en partie partagées par la patronne des députés écologistes, Cyrielle Chatelain.

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«Les prises de parole récentes du président paraissent immatures et inconséquentes pour un chef de guerre», fustige-t-elle. Si son groupe se positionnera dans «un soutien très clair à l’Ukraine», les Verts afficheront leur volonté de voir la France sortir de sa «dépendance énergétique vis-à-vis du gaz russe», qui «finance les chars de guerre de Vladimir Poutine». «La prise de parole du premier ministre va être importante, car nous sommes isolés sur la scène internationale», juge-t-elle. Quant à son collègue PS Boris Vallaud, qui préside le groupe socialiste, il tiendra la position «constante» de son parti en affichant un soutien «indéfectible» à Kiev, y compris via la livraison d’armes. «La guerre contre l’Ukraine est la guerre contre l’Europe. Tant que les Ukrainiens se battent, nous devons être en soutien», prévient l’élu des Landes. Avant d’anticiper, en vue du vote: «Nous ne nous départirons pas de notre ligne, qui est celle tenue par la France aujourd’hui. Mais Emmanuel Macron doit avoir une position claire et veiller à l’unité de tous nos alliés.» À défaut de réussir l’unité nationale.