Envoyé spécial à Al-Arish (Égypte), à bord du Dixmude,
Accompagné de sa traductrice, Sébastien Lecornu s’engouffre dans l’une des tentes dressées à bord du Dixmude . «Bonjour tout le monde !», s’exclame-t-il face à des femmes alitées. En visite dimanche pour le réveillon du jour de l’an sur le porte-hélicoptères amphibie (PHA) partiellement transformé en hôpital, le ministre des Armées s’enquiert de la situation des civils de Gaza blessés par la guerre qui y fait rage. C’est le premier officiel français à les rencontrer depuis que le Proche-Orient s’est embrasé cet automne. «L’esprit n’est pas à la fête ici», relève-t-il même si quelques sourires émergent des échanges malgré les lourdes blessures apparentes. «Salut mon bonhomme ! Est-ce qu’on s’est bien occupé de toi ?», demande-t-il à un garçon de dix ans amputé de sa jambe gauche. Sur le plâtre qui recouvre sa jambe droite, des prénoms ont été gribouillés au feutre autour de celui de Kylian Mbappé, le joueur de l’équipe de France qui illumine le visage du gamin quand on lui en parle. «Grâce à Dieu, on s’occupe de moi mais je suis fatigué», répond Maher, qui vient de perdre son père.
Depuis un mois, le bâtiment de la marine nationale est amarré dans le port égyptien d’Al-Arish, à cinquante kilomètres de la Bande de Gaza. Alors qu’Israël intensifie son offensive en réponse à l’attaque terroriste menée par le Hamas le 7 octobre dernier, le nombre de victimes civiles croît considérablement. Tandis que l’Onu et les organisations humanitaires s’alarment des conditions sanitaires dramatiques qui se dégradent dans l’enclave palestinienne. «La France a aussi engagé son armée contre le terrorisme. Je peux témoigner que jamais elle n’a négligé la question des civils. Leur protection est clé», insiste le ministre des Armées, six semaines après sa longue tournée au Proche-Orient. Il avait alors réussi à convaincre les autorités égyptiennes d’accueillir le Dixmude, à la demande d’Emmanuel Macron. Et tenté d’obtenir d’Israël que davantage de blessés puissent sortir de l’enclave palestinienne pour y être soignés. «En fonction des jours, entre 0, malheureusement, et parfois jusqu’à 20 blessés» sont autorisés à traverser le point de passage de Rafah, déplore Sébastien Lecornu qui évoque des «échanges très francs» avec son homologue israélien Yoav Gallant pour accélérer le rythme.
Depuis le 27 novembre, 90 Palestiniens ont été soignés sur le Dixmude. «J’ai plutôt l’habitude de traiter des militaires, là ce sont des civils victimes de plaies balistiques, d’explosions et d’ensevelissement», témoigne le médecin chef Paul, un des six chirurgiens à bord (dont un Jordanien et un Emirati venus en renfort). Dans les deux blocs opératoires, 130 interventions ont été menées. Certains patients ont ensuite été transférés par hélicoptère vers des hôpitaux du Caire. Jeudi dernier, la France a également annoncé que deux enfants sont arrivés dans l’Hexagone pour y être soignés.
«Quelle honte alors que des milliers sont déjà morts, que des dizaines de milliers sont blessés et risquent de mourir par manque de soins, de nourriture et d’eau», a déploré sur les réseaux sociaux le député LFI Thomas Portes, qui a parlé d’un «accueil misérable» en raillant «le navire de soins fantôme». Allusion à la mission précédente du Tonnerre, un autre PHA prépositionné en Méditerranée avant le Dixmude, mais qui n’avait accueilli aucun blessé. «C’était une première réponse dans une situation d’urgence», balaie Sébastien Lecornu, agacé «des polémiques stériles, inutiles et stupides qui ont pu émerger».
Sur l’imposant porte-hélicoptères de 199 mètres de long, 500 personnes dont 240 marins et 70 soignants s’affairent. Une salle de réanimation, des scanners et des laboratoires d’analyses permettent de faire face à l’urgence. «On sort de notre zone de confort habituel car les blessures sont très graves avec beaucoup d’enfants très impactés psychologiquement, très prostrés quand ils arrivent à bord», raconte un médecin.
La durée de la mission du Dixmude n’a pas été précisée alors que la France a récemment réitéré son souhait d’une «trêve humanitaire» qui permettrait également de libérer des otages encore retenus par le Hamas.
Envoyé en première ligne dans la poudrière moyen-orientale par le président de la République depuis le début des hostilités, Sébastien Lecornu se rendra dès ce dimanche soir au Liban. Dans le sud du pays du Cèdre, bastion du Hezbollah chiite, la situation sécuritaire s’est dégradée ces derniers jours. Tsahal a bombardé plusieurs positions non loin de sa frontière quand le nord d’Israël a été visé par le Hezbollah. De nombreux échanges de tirs font craindre une escalade, 17 ans après la guerre au Liban. 700 soldats français sont présents sur place dans le cadre de la Finul (Nations unies). Le ministre devrait partir à leur rencontre dès lundi.