Il y a du nouveau sous le domaine extraordinaire de la villa des Quintili. Étendue à deux pas de Rome, le long de la via Appia, l’antique propriété de 25 hectares alignait autrefois toutes les aménités d’une confortable cité miniature : bâtiments somptueux, bains chauffés, aqueduc monumental et même jusqu’à un hippodrome. Un vignoble et un site vinicole complétaient, bien entendu, ce complexe au luxe inouï qui avait attisé, au second siècle de notre ère, a jalousie des empereurs. Un atelier aussi rustique ne pouvait cependant convenir à un pareil endroit. Les maîtres des lieux ont ainsi aménagé avec soin ces lieux de production de vin d’une curieuse manière : en transformant le travail des ouvriers en spectacle.
Le dispositif est décrit dans une étude parue en avril dans la revue scientifique Antiquity et signé par des archéologues britanniques et italiens. Les chercheurs ont passé en revue les données des opérations de fouille réalisées à la villa des Quintili sous la direction de la British School at Rome. Les espaces excavés en 2017 et 2018 ont permis de mettre au jour un atelier de production de vin, avec un espace de foulage, deux pressoirs, une cuve destinée à recevoir le moût ainsi que des jarres de stockage. Soit toutes les structures habituelles pour la métamorphose du raisin fraîchement cueilli en nectar des plus fines tables. Quelques étrangetés complétaient toutefois l’architecture de ces ateliers.
À lire aussiDe mystérieuses antiquités égyptiennes d’Amiens provenaient de la nécropole de Saqqarah
Les détails sont étonnants. Cet espace de travail était pavé de marbre rouge de Breccia – un luxe époustouflant pour un atelier au sol d’ordinaire enduit de ciment. Cette coquetterie glissante devait compliquer le travail des ouvriers. Les archéologues ont également remarqué que les deux pressoirs, de taille imposante, ont été aménagés dans une symétrie parfaite, tel un décor de théâtre. Mieux encore, le moût des cuves jaillissait dans trois niches plaquées en marbre blanc et flanquées de deux fontaines décoratives, à la manière d’un petit nymphée à vin et à eau. Enfin, plusieurs salles de banquet ceinturaient les ateliers et offraient une vue plongeante sur l’ensemble des activités du site. Ces pièces périphériques étaient décorées de murs et d’un sol en opus sectile, un pavage d’un luxe effréné composé d’une variété de marbres chamarrés, d’ardoise, de serpentine et de porphyre.
«Tout cela montre que celui qui a construit ces bâtiments a privilégié l’extravagance à toute considération d’ordre pratique», résume l’archéologue Emlyn Dodd, directeur adjoint de la British School at Rome et cosignataire de l’étude, au quotidien britannique The Guardian , aux côtés de Giuliana Galli et Riccardo Frontoni. Mais pourquoi un tel déluge d’élégances pour un site qui constitue normalement une partie servile, voire invisible des villas romaines ? Pourquoi théâtraliser ce lieu de travail et le corrompre en lieu de délices ? Selon le spécialiste, l’explication se trouverait dans les goûts du propriétaire des lieux, au milieu du IIIe siècle : l’empereur Gordien III.
À lire aussiUne nécropole dévoilée au pied de la basilique de Saint-Denis
Propriété de la famille des Quintili depuis l’époque républicaine, la villa est saisie dans la violence par l’empereur Commode, en 182-183 qui entreprend d’embellir encore plus le faste du domaine. Le secteur vinicole, en particulier, a été daté par plusieurs indices au règne de Gordien III, entre 238 et 244, un des empereurs romains du milieu du IIIe siècle au règne le plus stable. «Ce vignoble de luxe a été pensé pour que l’empereur puisse s’adonner à ses plaisirs bacchiques», note Emlyn Dodd. Les années les plus difficiles de la «crise du IIIe siècle» devaient ainsi passer moins péniblement pour la cour impériale en ce lieu où l’on jouissait du spectacle de la vinification depuis d’une tablée généreuse. Avec le site de la Villa Magna, près d’Anagni, dans le Latium, la villa des Quintili constitue le second et plus éclatant exemple d’un vignoble impérial au raffinement monstre.
Les signataires de l’étude estiment que la villa des Quintili permet de réévaluer les apports des empereurs romains du milieu du IIIe siècle à l’architecture. «Les recherches archéologiques et épigraphiques sont en train de réévaluer le règne des Gordiens», note l’étude parue dans Antiquity, qui propose d’inscrire les métamorphoses de l’unité vinicole de la villa des Quintili aux brefs mais intenses grands travaux de Gordien III. Celui-ci s’était concentré «en particulier la construction et la restauration des infrastructures et des édifices de spectacle comme le Colisée, les thermes et les fontaines», poursuivent les chercheurs. Un brouillage de la division classique des villas entre parties résidentielles et parties laborieuses semble aussi avoir eu lieu. L’archéologie ne dit pas, cependant, si Gordien III foulait lui-même ses raisins, au coude à coude de ses esclaves.