Temple de la musique techno connu dans toute l’Europe, le Fuse a vacillé sous la pression de voisins exaspérés par les décibels nocturnes. Mais la célèbre boîte de Bruxelles a tenu le choc, mobilisant la classe politique et devenant un symbole. La boîte de nuit, qui a vu passer tous les grands noms de l’électro depuis son ouverture en 1994, – de Laurent Garnier à Carl Cox en passant par Aphex Twin ou les Daft Punk -, fête cette année ses 30 ans d’existence, une longévité rare dans ce secteur d’activité.

«C’est de plus en plus difficile pour les clubs d’exister au centre des villes», explique à l’AFP Pierre Noisiez, alias DJ Pierre, une figure des lieux, qui travaillait déjà là en 1994. «Si vous les enlevez, vous avez un centre-ville qui est mort, ce dont personne n’a envie». Livre, compilation-souvenir, concerts en Belgique et à l’étranger; une série d’événements marquent cet anniversaire.

Les 5 et 6 avril, deux soirées spéciales, avec horaires étendus, sont prévues dans le club situé au cœur du quartier historique des Marolles. Avant une tournée mondiale qui fera étape à Amsterdam, Berlin, Londres et Barcelone notamment. Mais ces célébrations auront lieu dans un contexte tourmenté.

La discothèque, contrainte de fermer trois semaines en janvier 2023 à la suite de restrictions anti-bruit liées aux récriminations d’un voisin, se heurte à «deux nouvelles plaintes», souligne à l’AFP son directeur Steven Van Belle. En quelques jours, une pétition en faveur de la réouverture du lieu avait obtenu près de 68.000 signatures. Alors que la période Covid est encore dans tous les esprits – elle a été vécue comme un traumatisme par le secteur -, le mécontentement de certains voisins sur les nuisances sonores ne faiblit pas. «C’est encore un sujet chaud», lâche M. Van Belle.

L’an dernier, l’annonce de la fermeture administrative avait donné lieu à une spectaculaire mobilisation regroupant artistes, fêtards anonymes et monde politique. Le bourgmestre socialiste de Bruxelles, Philippe Close, avait qualifié le Fuse de «monument» de sa ville, tandis que la direction du lieu s’insurgeait qu’un seul voisin puisse menacer le «club techno le plus ancien de Belgique». «Cela me fend le cœur», avait lâché la disc-jockey flamande Charlotte de Witte, une des grandes stars mondiales de cette scène musicale.

Quelques mois plus tard, en juillet, la culture du «clubbing» a été inscrite au patrimoine immatériel de la région bruxelloise, au même titre que celles de la bière ou des baraques à frites, les «fritkots». Une mesure symbolique qui est la conséquence directe de la polémique autour du Fuse. «Fermer le Fuse c’était mettre en danger toute la vie nocturne. Il était temps de la protéger», explique-t-on au cabinet d’Ans Persoons, secrétaire d’État bruxelloise chargée du Patrimoine. «Désormais les voisins aussi doivent s’adapter à ce qui est considéré comme un élément du patrimoine».

Ce classement – distinct de celui de l’Unesco – s’applique à «au moins 100 lieux» de la région bruxelloise, selon la fédération d’acteurs du monde de la nuit qui a porté le projet. À la vingtaine de discothèques de la capitale belge s’ajoutent les bars de nuit, salles de concert et autres festivals en plein air où l’on danse aussi devant les enceintes et les platines des DJs.

Pour garantir l’avenir de ces lieux, qui sont parfois le moteur économique d’un quartier, l’exécutif régional a élaboré récemment de nouvelles règles urbanistiques qui imposent des contraintes (dans les demandes de permis, travaux d’isolation etc.) tant aux voisins directs qu’à l’exploitant du lieu. Le directeur Steven Van Belle dit attendre de pied ferme ce nouveau cadre légal «de protection», qui doit encore être soumis au vote du Parlement régional.