Petite barbe, pull marine sur chemise blanche, Saad Lamjarred écoute attentivement la présidente de la cour d’assises rappeler les faits qui lui sont reprochés. «Vous contestez toujours ?», demande la juge Frédérique Aline. Saad Lamjarred confirme. «J’ai attendu ce moment pendant presque sept ans, pour dire tout ce que vous voulez entendre sur cette affaire qui nous a fait beaucoup de mal à moi et à mes proches», dit-il, s’exprimant en arabe ou en anglais via une interprète, parfois en français qu’il maîtrise moins.

De l’autre côté de la petite salle d’audience, Laura P., costume sombre, cheveux châtains lâchés sur les épaules, détourne le regard dès qu’il prend la parole. Quand elle l’a aperçu en arrivant, elle a été prise d’une crise de larmes.

Les faits qu’elle dénonce remontent à octobre 2016. Âgée de 20 ans, elle avait accompagné Saad Lamjarred à son hôtel sur les Champs-Élysées après une soirée chargée en alcool et cocaïne. Ils s’étaient embrassés mais quand il était devenu plus entreprenant, elle avait tenté de l’arrêter, avait-elle raconté aux enquêteurs. Il l’aurait alors frappée et violée.

La cour commence par s’intéresser au parcours de vie de Saad Lamjarred, 37 ans aujourd’hui. Patient, poli – il commence toutes ses réponses par «Madame la présidente» -, le chanteur, adulé au Maroc et connu dans tout le monde arabe, retrace son enfance heureuse dans une famille d’artistes respectée dans son pays – son père chanteur très populaire, sa mère comédienne.

À 16 ans, il part poursuivre sa scolarité aux États-Unis mais abandonne vite l’école. «I followed my dreams» («j’ai suivi mes rêves»), justifie-t-il. Il enchaîne les petits boulots, espérant percer dans la musique.

Il commence à se faire connaître en 2007 en participant à un télécrochet libanais avant de devenir célèbre vers 2015 – ses clips accumulent des centaines de millions de vues sur Youtube. «Je profite de ma célébrité pour transmettre des choses positives aux gens, tout ça dans un esprit de respect, de grand respect pour la femme», dit-il spontanément à la cour. «Mais ces dernières années avec cette histoire…, souffle la pop star, j’ai vécu un gros stress, une grosse dépression».

La cour veut en savoir plus sur les «valeurs» qu’il véhicule dans ses chansons. «Je veux montrer la culture de mon pays, la femme marocaine moderne et libre», répond-il, évoquant la beauté, l’intelligence de la femme arabe et sa «complémentarité de l’homme».

Sur d’autres sujets, il est nettement moins prolixe. «Pourquoi être parti des États-Unis en 2010 ?», demande innocemment la présidente.

«J’ai eu un problème, j’ai décidé de rentrer», balaie Saad Lamjarred, dont le visage s’est fermé. «Je ne souhaite pas évoquer cette affaire», rétorque-t-il quand la présidente insiste. Car planent sur ce procès l’ombre d’embarrassantes et similaires accusations de viol d’autres jeunes femmes, même si le casier judiciaire de Saad Lamjarred demeure vide.

Il a été mis en cause pour viol à New York en 2010 mais les poursuites ont été abandonnées après un arrangement financier avec la victime. Une Franco-Marocaine l’a accusé d’un viol à Casablanca en 2015 avant de se mettre en retrait de la procédure, évoquant de lourdes pressions familiales, et un non-lieu avait été ordonné. Il a enfin été mis en examen pour viol à Saint-Tropez, en 2018.

Quand l’accusation revient à la charge sur l’affaire new-yorkaise, l’un des avocats du chanteur, Me Jean-Marc Fedida, se lève et s’emporte: «Si vous avez l’intention de faire des procès qui n’ont pas eu lieu, on ne va pas s’entendre !», clame-t-il

La cour n’aura pas plus de chances avec la femme du chanteur, qui élude les questions sur les précédentes accusations. «Je sais qu’il est innocent, c’est mon mari, je le connais», confie-t-elle. Le procès est prévu jusqu’à vendredi.

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