Sans lui, le Nouvel Hollywood n’aurait peut-être jamais existé. Roger Corman a mis le pied à l’étrier à Francis Ford Coppola, lancé Martin Scorsese, découvert Monte Hellman, et fait semblant de virer plusieurs fois le jeune James Cameron. Peter Bogdanovich lui doit beaucoup. Jack Nicholson a démarré grâce à lui. N’en jetez plus. Roger Corman s’est éteint le 9 mai à Santa Monica (Californie) et personne ne pourra le remplacer. Il avait 98 ans et plus de cent films à son actif.

Au départ, il y a un ingénieur en électricité qui se retrouve coursier à la Fox en 1948. On ne l’arrêtera plus. Il gravit les échelons, gagne son indépendance, tourne comme il respire (sans reprendre son souffle donc). Sa filmographie est aussi longue qu’une après-midi sur France Cuture. Aucun genre ne le rebute, western, science-fiction, horreur, film de gangsters. Ce champion du système D crée sa propre maison de production – liberté d’abord. Le titre de ses Mémoires définit assez le personnage : Comment j’ai fait 100 films sans jamais perdre un centime. Le débrouillard réutilise les décors du film précédent, récupère les mètres de pellicule sauvegardée. Sur ses plateaux, pas de clap : du temps perdu. Pour La Petite boutique des horreurs, il lui faut deux jours et une nuit. Le tout jeune Nicholson en patient masochiste vole la vedette à la plante carnivore. Dans Mitraillette Kelly (1958), il y a un inconnu à la carrure impressionnante, Charles Bronson. Dans Bloody Mama (1970) qui tient la comparaison avec Bonnie and Clyde, Robert de Niro perd treize kilos pour jouer un drogué (il se vengera en en prenant trente pour incarner Jack La Motta dans Raging Bull). Il embauche Vincent Price, tire Boris Karloff de l’oubli, fait appel à Robert Towne, le futur scénariste de Chinatown. Dans Les anges sauvages (1966), il engage de vrais Hell’s Angels qui menacent de le tuer et lui réclament 4 millions de dollars. Le réalisateur hausse les épaules. En blouson de cuir, Peter Fonda chevauche déjà une Harley Davidson. Corman regrettera d’ailleurs de s’être retiré du projet d’Easy Rider dont il trouvait le budget trop élevé. Une autre de ses déceptions fut l’échec de The Intruder (1962) où un fanatique débarque dans une petite ville du Sud pour s’opposer aux mesures anti-ségrégationnistes.

L’ambition ne lui faisait pas défaut. Il boucla un cycle Edgar Poe, avait envisagé d’adapter Portrait de l’artiste en jeune homme d’après Joyce ou La colonie pénitentiaire de Kafka. Sa conscience professionnelle le poussa à goûter au LSD avant de donner le coup d’envoi à The Trip. Son credo l’amena à soutenir des théories originales : « Si elle est montée correctement, une séquence classique de film d’horreur équivaut à un acte sexuel ». Néanmoins, son œuvre ne comporte apparemment aucun porno. Son physique de clergyman lui a permis d’obtenir un rôle dans Le Parrain 2. Dans son bureau, des affiches de Mai 68 couvraient les murs. Il a collectionné les voitures de course (« les seules folies que je me sois autorisées »), distribué Amarcord et Cris et chuchotements aux États-Unis (« Nous avons été les premiers à faire entrer Bergman dans les drive-in »), possédé un vignoble en Californie. Dans le Times, le critique Vincent Canby avait écrit : « En tant qu’auteur, Monsieur Corman peut être élevé au Panthéon au même titre que John Ford, Howard Hawks, Hitchcock, D.W. Griffith, Nicholas Ray, Charlie Chaplin et Samuel Fuller ». On peut trouver le jugement excessif. Roger Corman fut ce prolixe artisan qui tournait plus vite que son ombre. Pour lui, être un réalisateur sérieux aurait été une tâche trop facile. « J’ai toujours été un sprinteur, pas un coureur de fond ». Vu l’âge auquel il a disparu, il est permis de dire qu’il se trompait : il a remporté haut la main ce marathon qu’est la vie. Sa devise n’était pas si sotte : « C’est comme ça. Le monstre gagne à la fin ». Cette fois, le monstre a gagné pour de bon.