Il y a soirée Béjart et soirée Bejart. Celle que propose le ballet de l’Opéra de Paris oblige à confronter le chorégraphe à son propre mythe. L’Oiseau de Feu, Le Chant du Compagnon Errant et Le Boléro comptent parmi les pièces fondamentales de son répertoire. Par l’histoire de leur création et de leurs interprètes.
Ode à l’éternel retour des idéaux, L’Oiseau de feu, créé en 1970 pour l’Opéra de Paris, reste à tout jamais marqué par l’interprétation de Michael Denard, disparu bien trop tôt, en février dernier. Le Chant du Compagnon Errant créé en 71 pour Noureev et Bortoluzzi interroge sur le rapport du disciple au maître: transmission et solitude. Boléro, dansé par les plus grands depuis 1961, est un défi à l’interprète qui se révèle dans l’ivresse de sa propre danse.
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Mathieu Ganio est un oiseau-flamme déjà puissant qui sème le feu de la révolution parmi les partisans, en meurt et renaît, Phénix capable de porter toutes les révolutions, les idéaux, les transformations du monde. Karl Paquette, le dernier à avoir travaillé le rôle avec Michael Denard, a transmis à tous les Oiseaux ce qu’il a appris: «C’est un rôle à interpréter dans une palpitation continue du corps qui amène les bras à jouer les ailes», dit-il. Ganio croit si bien à ce qu’il danse, que ce ballet qu’on a pu trouver dépassé, saisit: il renvoie de manière si juste aux temps que l’on traverse! La pièce emporte alors, magnifiquement construite, entre démonstrations de partisans et palpitations de l’Oiseau.
Hélas la dernière image est datée: Oiseau et Phénix superposés, avec deux partisans tenant les pieds de l’Oiseau en l’air, honore le sens géométrique de Béjart mais frise le ridicule. Hugo Marchand et Germain Louvet dansent Le Chant du Compagnon Errant. Ils s’y étaient essayés pour la première fois lors de l’hommage à Patrick Dupond le 23 février dernier. Ils ont le même âge, comme Bortoluzzi et Noureev. À Garnier, leur dialogue de frères, tout en générosité, en écoute et en subtilité, dégageait une humanité qui donnait la chair de poule. Il se perd hélas un peu sur le plateau de Bastille, trop vaste pour un pas de deux.
Amandine Albisson se dévoile sur la table du Boléro. Longues mains, cheveux épars, la danseuse qui se révèle peu à peu dans le faisceau de lumière comme dans un strip-tease, est une splendeur. À quel vertige va-t-elle nous convier? La musique insiste, le rein se creuse, le rythme prend.
Béjart disait que la table du Boléro agit sur le danseur comme un test de Roschach. Duska Sifnios, créatrice du rôle, était «superbe, fastueuse, faisant impudemment étalage d’un narcissisme d’enfant», écrit-il. Albisson livre sa beauté, la perfection de sa danse, et si elle perd un peu la mesure, elle ne tente jamais la démesure. On aimerait la voir crier, ou rire, ou dériver. Elle gagnerait beaucoup à être un peu moins sage.
Soirée Maurice Béjart à l’Opéra Bastille, du 21 avril au 28 mai 2023. Informations et réservations sur operadeparis.fr .