Des années qu’on ne la croyait pas quand elle disait qu’il l’avait violée, et puis paraît un entretien de Roman Polanski la «traitant de menteuse». «Ça a été la goutte d’eau», lâche Charlotte Lewis devant le tribunal parisien qui juge le réalisateur franco-polonais pour diffamation. C’est bien Roman Polanski qui est jugé mardi, mais le réalisateur de 90 ans multi primé, accusé de viols et agressions sexuelles par une dizaine de femmes, est absent, seulement représenté par ses avocats. Alors tous les regards dans la salle sont tournés vers Charlotte Lewis, la très fine femme de 56 ans, tout de noir vêtue, venue elle du Royaume-Uni et «déterminée à aller jusqu’au bout», dit-elle au tribunal via une interprète.

Au début des années 1980 raconte l’actrice à la barre, elle avait 16 ans et travaillait comme mannequin à Londres. «On me demande si je veux jouer dans un film, si je veux rencontrer Roman Polanski». Arrivée à Paris avec Karen, une autre mannequin plus âgée, elle est installée dans un petit hôtel que Roman Polanski «ne trouve pas terrible», alors il les installe dans son appartement. «On va dîner, on est rentré à l’appartement, Karen est allée se coucher et m’a laissée seule avec Roman. Et c’est là qu’il m’a violée», décrit Charlotte Lewis à la barre.

«Et pourtant», explique l’avocat de l’actrice Me Benjamin Chouai, Charlotte Lewis part ensuite tourner dans Pirates avec le réalisateur, fait la promotion du film, «sourit pour la photo». «Pourquoi vous ne le dénoncez pas ?», dit l’avocat. «Je ne savais pas que ce qui m’était arrivé était du viol, je savais que ça n’allait pas, mais je n’arrivais pas à mettre de nom dessus», explique celle qui n’était alors qu’une adolescente. «Il n’était pas horrible, il ne m’a pas battue… et on a commencé à travailler ensemble. Je le respectais, il était gentil avec moi, il me disait quels livres lire», poursuit Charlotte Lewis. Elle a dénoncé publiquement ces faits pour la première fois en 2010, aux États-Unis, où Roman Polanski est considéré comme un fugitif depuis les années 1970 après une condamnation pour des «relations sexuelles illégales» avec une mineure de 13 ans.

La suite est plus difficile à suivre et le dialogue avec le tribunal se fait compliqué: Charlotte Lewis est en colère mais pas forcément contre Roman Polanski, veut répondre vite, interrompt tour à tour la présidente ou l’interprète qui tente péniblement de la traduire. «Slow down Charlotte» (ralentissez), la prie régulièrement dans son dos son avocat.

Ce qu’il faut retenir, dit-elle, c’est que «les gens ne croient pas» aux accusations qu’elle a portées en 2010, et que sa vie devient un enfer. Notamment à cause d’un vieil article publié dans un tabloïd britannique 10 ans plus tôt et exhumé selon elle par le philosophe et écrivain Bernard-Henri Lévy sur son site. Dans cet article, des citations – fausses selon elle – lui font dire qu’elle se prostituait à 14 ans, qu’elle rêvait d’être la «maîtresse» de Roman Polanski.

«C’est comme si on m’avait jetée sous un bus, j’ai vécu une campagne de dénigrement. Ça a failli détruire ma vie», dit Charlotte Lewis qui évoque, entre deux sanglots de colère, les gens qui la fixent dans la rue, les anniversaires où son fils n’est plus invité, son référencement sur internet systématiquement lié à «prostituée 14 ans».

«Est-ce que vous regrettez d’avoir parlé ?», demande son avocat. «Oui, j’aurais préféré ne rien dire. Aujourd’hui, si une femme vient me dire qu’elle a été violée et me demande si elle doit le révéler, je lui dirai: non. Tire un trait sur tout ça, continue ta vie», lâche-t-elle d’un ton dur.

Alors cet entretien à Paris Match de Roman Polanski – en 2019 – dans lequel il parle d’«odieux mensonge», évoque le besoin d’«interroger des psys» sur le cas Charlotte Lewis, c’est «la goutte d’eau», dit-elle. «Voyez-vous, la première qualité d’un bon menteur, c’est une excellente mémoire. On mentionne toujours Charlotte Lewis dans la liste de mes accusatrices sans jamais relever (ses) contradictions», avait déclaré le réalisateur, faisant référence au vieil article de tabloïd.

L’audience se poursuit mardi soir avec l’audition de l’auteur de l’article, qu’a fait citer la défense de Roman Polanski.