Chaque année, à quelques heures de la décision de l’Académie royale de Suède, les paris fusent. A chacun sa méthode, ses grigris et ses inébranlables certitudes. Une chose est sûre: il n’existe pas de liste officielle des candidats au titre suprême.

Chaque année, les sites de parieurs donnent leur liste et chaque année, ils sont proches du résultat. Sauf en 2016 où, à la surprise générale, le nom classé en 50e position, avec quasi aucune chance de l’emporter, fut choisi. Il s’agissait de Bob Dylan. Et la polémique qui suivit est dans toutes les mémoires. Dylan est un chanteur, un poète mais pas un écrivain. Son seul roman Tarantula, est un pur navet même si ses Chronicles en deux volumes valent le détour. A ce compte-là, pourquoi n’avoir pas couronné un Leonard Cohen auteur de plusieurs romans de qualité? Dylan boudant le Nobel, refusant de venir chercher son chèque, envoyant Patti Smith à sa place…Le feuilleton fut long et laborieux.

Cette née, cette fameuse 50e place est occupée par un certain Stephen King. Il a beau jouer de la guitare électrique dans un groupe, on ne pourra pas l’accuser de pas être un écrivain! On peut gloser à l’infini sur la qualité de son œuvre, sur le sérieux de la littérature de genre…King est depuis cinquante ans et Carrie l’un des meilleurs observateurs de l’évolution et des dérèglements de la société américaine.

On parlait de Dylan. Les sites de paris en ligne ne manquent pas d’humour. Cette année, ils ont mis dans leur tableau d’autres chanteurs: Paul Simon, Paul McCartney et Lana Del Rey! On veut croire à une erreur de frappe. Dans cette catégorie, on croit davantage aux chances d’une Patti Smith, qui publie des poèmes, des essais, des récits depuis Seventh Heaven en 1972 et reçu, comme Stephen King, le National Book Award en 2010 pour son autobiographie Just Kids.

En attendant, si l’on en croit les sites de paris en ligne, le norvégien Jon Fosse, récemment sélectionné par l’International Booker Prize, a toutes les chances de l’emporter. Il est suivi par le kenyan Ngugui Wa Thiong’o, 85 ans, toujours placé, jamais gagnant et par la chinoise Can Xue dont l’œuvre se situe dans un registre fantastique et onirique. Une seule traduction existe en français, chez Gallimard, Dialogues en Paradis, en 1992.

Autre auteur peu connu chez nous, l’australien Gerald Murnane, 84 ans. Sur la dizaine de romans publiés, seuls Les Plaines, publié en 1982 fut traduit en 2011 chez P.O.L et Tamarisk Row, qui date de 1974 fut traduit…en 2016 chez Buchet Chastel.

Vient ensuite un candidat sérieux, le roumain Mircea Cartarescu, 67 ans. Poète et romancier, il est connu chez nous puisqu’une douzaine de ses titres sont traduits dont son chef d’œuvre, Solenoïde, chez Noir sur Blanc.

Un outsider apparaît pour la première fois: le poète chilien Raul Zurita, prix Pablo Neruda 2016. L’année du cinquantième anniversaire du coup d’état de Pinochet, couronner un homme qui fut arrêté et torturé par la junte ferait sens comme on dit. Les noms d’auteurs cités depuis plusieurs décennies réapparaissent: le poète syrien Adonis, 93 ans ou le romancier albanais naturalisé français Ismail Kadaré, 87 ans.

Les français Pierre Michon et Michel Houellebecq sont aussi cités. Mais comment imaginer qu’après le sacre d’Annie Ernaux en 2022, un autre auteur tricolore l’emporte? A l’époque, le doublé Le Clézio (2008) , Modiano (2014) avait fait jaser…

Autres questions: l’éternel favori des parieurs, le japonais Haruki Murakami, peut-il enfin décrocher le graal, lui dont le succès international est considérable et qui ne peut être qualifié d’auteur engagé? A ce propos, les jurés suédois auront-ils le cran de sacrer Salman Rushdie, victime d’une fatwa depuis trente ans et d’un attentat islamiste qui lui coûta un œil, l’été 2022? Ce serait un signe fort et encourageant.

Peut-on encore croire aux chances de l‘immense portugais Antonio Lobo Antunes? Et les américains Joyce Carol Oates, Don DeLillo, Thomas Pynchon? Après les ratages Philip Roth et Cormac McCarthy, cela relèverait du miracle!

Depuis 2013, les jurés suédois alternent lauréat et lauréate. Vont-ils poursuivre cette politique? Cela signifierait que la grande romancière russe Oulitskaïa ne pourrait remporter le prix. Pas plus que la canadienne Margaret Atwood. Verdict, demain à 13heures en direct sur le site de l’Académie suédoise.