Biopic de Sofia Coppola, 1h53
Son nom semble tout droit sorti de chez Modiano. Sofia Coppola filme pourtant Priscilla Beaulieu comme une héroïne de Robbe-Grillet. Priscilla, c’est un peu « L’Année dernière à Graceland ». En 1959, l’adolescente rencontre Elvis Presley en Allemagne de l’Ouest où il est en train d’effectuer son service militaire. Elle a 14 ans, lui dix de plus. Le chanteur est déjà une vedette internationale. Elle lui plaît. Devant lui, elle reste bouche bée. Il est tellement plus grand qu’elle qu’il doit attraper un torticolis chaque fois qu’il l’embrasse. En classe, la lycéenne monnaye sa relation avec la star pour copier sur sa voisine. Il se confie, pleure la perte de sa mère. Priscilla le rejoint à Memphis.
Sofia Coppola reste fidèle à elle-même. Le vide est son sujet. Elle le remplit de silences, de regards entendus, de bâillements intérieurs. Cailee Spaeny prête son physique fragile à cette épouse délaissée. Jacob Elordi fait d’Elvis un dépendeur d’andouilles mal dans sa peau, gamin capricieux grandi trop vite dans son pyjama brodé à ses initiales, toujours loin, à Las Vegas ou à Hollywood, et refusant obstinément d’écouter les Beatles. Le film a quelque chose d’atone et de vénéneux, comme un conte gothique sous Prozac. É. N.
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Comédie de Caroline Vignal, 1h38
Sur les applications de rencontre, les propositions ne manquent pas de piquant et le plaisir peut se trouver à une portée de clic. Pour Iris, a priori comblée par une vie de famille parfaite, c’est un nouveau monde dont elle ne soupçonnait pas l’existence. Mais frustrée dans sa vie de couple par une libido en berne, elle finit par céder aux promesses des plaisirs illicites servis sur les sites. Lors de son premier rendez-vous, elle se cache derrière des lunettes et un chapeau avant de vite prendre la fuite. Au deuxième, un divorcé reconverti au polyamour la fait succomber avec un cocktail et un strip-tease. Dès le troisième, rompue à l’exercice, elle fixe ses conditions comme celle de ne jamais se revoir. Au quatrième… Après une scène amusante et un poil étrange, les rencontres se suivent mais ne débouchent pas sur grand-chose, avec des personnages secondaires peu incarnés. Il y aurait pourtant à dire sur le couple en pleine crise existentielle et le désir, surtout abordé par un regard féminin comme ici. Reste Laure Calamy. De tous les plans ou presque, l’actrice de Dix pour cent se donne à 100 %, rayonnante et sensuelle. V. B.
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Comédie dramatique de Selma Vilhunen, 2h01
Bouleversante dans Les Feuilles mortes d’Aki Kaurismäki, la comédienne finlandaise Alma Pöysti est de retour dans ce marivaudage défiant les conventions. Elle y campe Julia, une femme politique mariée à Matias, un pasteur influent. Parents d’un petit garçon de 8 ans, ils sont heureux et amoureux. Cette harmonie vacille quand Julia apprend que Matias entretient une liaison avec une éditrice. Voyant son époux écartelé entre elle et sa rivale, Julia décide d’expérimenter le concept du mariage à trois avec tous les dilemmes sentimentaux et logistiques que cela implique. Sur un sujet qui pourrait s’avérer scabreux, la réalisatrice Selma Vilhunen préfère la tendresse et l’introspection. Elle n’est pas là pour se moquer du polyamour mais examine ses personnages comme un sociologue. Douleur et rires sont omniprésents. Pas forcément dans les situations ou quiproquos où on les attend. C. J.
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Drame de Matteo Garrone, 2h02
Moi capitaine serait signé des frères Dardenne, on saurait à quoi s’attendre. Viol, torture et mort à l’arrivée, le périple de deux jeunes migrants africains ressemblerait à un long calvaire. Venant de Matteo Garrone, on ne sait pas trop sur quel pied danser, tant le réalisateur romain a œuvré dans tous les genres – film criminel avec Gomorra, satire avec Reality, conte avec Pinocchio. Mais Garrone est un Italien, autrement dit un Français (ou un Belge) de bonne humeur. Si le drame des migrants ne prête guère à l’optimisme, Garrone semble vouloir garder espoir envers et contre tout. Le voyage de Seydou et Moussa, deux Sénégalais de 16 ans, partis de Dakar pour rejoindre clandestinement l’Europe, n’a rien d’une promenade de santé. Garrone filme l’éprouvante traversée du désert ou la torture dans les geôles libyennes, même si celle-ci reste quasiment hors champ. « Face à un sujet si délicat et dramatique, j’ai veillé à créer la mise en scène la plus sobre et dépouillée qui soit, pour éviter toute complaisance ou vaine curiosité», explique le réalisateur dans le dossier de presse. Mais le refus de Garrone de se complaire dans la noirceur l’amène à édulcorer l’enfer vécu par les migrants. Il ne peut s’empêcher de soigner de belles images, de poser une jolie musique, voire de nier le réel par des échappées oniriques maladroites. On est parfois à la limite de la carte postale et de la faute morale. L’héroïsation finale de Seydou est aussi problématique. Garrone interrompt son récit avant l’accostage du bateau sur les rives italiennes. Cela lui évite de montrer la réalité qui attend les damnés de la terre et de la mer une fois débarqués en Europe. É. S.
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