Elle a côtoyé Césaire et Mandela, dirigé Marlon Brando, reçu César et Oscar et continue le combat pour l’égalité et la représentation des personnes noires : le cinéma n’en a pas fini avec une pionnière, la réalisatrice martiniquaise Euzhan Palcy. Davantage reconnue à Hollywood, où elle a reçu l’an dernier un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, elle connaît, à 65 ans, une seconde jeunesse en France, où leCentre Pompidou à Paris lui consacre une première rétrospective.

Ses films sont ses combats. À commencer par Rue Cases-Nègres (1983), qui a révélé à des millions de spectateurs la société post-coloniale antillaise, et Une saison blanche et sèche (1989), tourné pour dénoncer le régime raciste d’Apartheid alors en vigueur en Afrique du Sud. «Quand j’étais gamine, l’homme et la femme noirs n’existaient pas au cinéma, ou dans des rôles très négatifs et dégradants», se remémore la cinéaste, lors d’un entretien avec l’AFP.

«Je ne supportais pas ça, c’était une humiliation totale. Je ne m’identifiais pas à ces personnages. Je suis arrivée au cinéma avec cette colère, que j’ai voulue créatrice», poursuit-elle. C’est la naissance d’une vocation pour celle qui se souvient encore des punitions pour ceux qui parlaient créole dans la cour de récré et vit désormais entre les États-Unis, Paris et la Martinique.

Première revanche avec Rue Cases-Nègres. Adapté de son livre de chevet, signé Joseph Zobel, il met en scène un petit garçon dans la Martinique des années 1930. Un monde qui ne ressemble à rien de ce que les cinéastes ont pu montrer jusqu’à présent. Triomphe en salles, le film reste culte: «Des gens me disent l’avoir vu cinq fois, dix fois…», sourit Euzhan Palcy. «Mes films sont d’une période mais ils ne vieillissent pas car j’y mets beaucoup d’émotion», souligne-t-elle.

«Réhabiliter l’image de l’Homme noir au cinéma», pour changer le monde réel: «Avec un film, on peut créer une révolution», veut croire la réalisatrice. À l’époque, la révolution passe par Hollywood, «qui a contribué énormément à cette image négative».

Une rencontre avec Robert Redford et elle s’invite aux États-Unis, pour y imposer son projet d’adaptation d’André Brink, Une saison blanche et sèche, et «réveiller le monde». «À l’époque, j’étais folle. Et je le suis toujours !», s’esclaffe Euzhan Palcy, qui a nourri son film d’une enquête clandestine à Soweto en plein Apartheid.

Elle sera la première cinéaste noire produite par un grand studio (MGM) et l’unique réalisatrice à diriger Marlon Brando, qui offre son cachet. «Aux États-Unis, j’ai obtenu ce que je voulais car, n’étant pas noire américaine, je n’avais pas de contentieux» avec les dirigeants blancs de l’industrie, raconte Euzhan Palcy. Qui précise «avoir refusé des tas de projets» pour ne faire que ce dont elle avait envie.

Elle déborde encore de projets de tournage même si ses films récents sont plus confidentiels, notamment sur les résistants antillais ou sur Aimé Césaire. Elle admire le «chantre de la négritude» et revendique elle-même le terme de «négresse», «un mot tellement beau, tellement poétique qui a été traîné dans la boue».

De l’Amérique d’aujourd’hui, où son film Ruby Bridges (1998) contre la ségrégation scolaire s’est retrouvé dans le viseur des ultraconservateurs, elle préfère retenir la prise de conscience des personnes blanches sur le sort réservé aux communautés noires après l’affaire George Floyd en 2020. Et la progression de la diversité à l’écran.

À Paris, son parcours a pu inspirer une nouvelle génération d’artistes noirs comme Maïmouna Doucouré, Alice Diop, Jean-Pascal Zadi ou Aïssa Maïga. «Souvent, j’ai eu l’impression que les choses changeaient et j’ai déchanté», met-elle en garde, enrageant que «les choses n’avancent pas assez vite».

Reste son île natale. «Pendant des années, pour nos compatriotes, on était “les belles doudous” (…) Les gens avaient l’image des acras, du ti-punch, de la musique et de la danse. Ils ne connaissaient rien de notre histoire», soupire-t-elle. «Quand je fais des films, je me dis que les gens vont découvrir les Antilles telles qu’elles sont, pas imaginées ou fantasmées.»