Quelques jours après le mythique Bretagne à Montparnasse au cœur de Paris, c’est au tour du Gaumont Champs-Élysées Marignan sur les Champs-Élysées de fermer à jamais ses portes. Ce cinéma emblématique de la capitale et du groupe Pathé aura vécu 90 ans. «Inauguré le 30 mars 1933 sous l’enseigne Pathé avec La Dame de chez Maxim’s d’Alexandre Korda, c’était avec le Grand Rex, l’une des salles les plus luxueuses de Paris, raconte Axel Huyghe, historien des salles sombres, auteur de plusieurs livres de référence (*) et fondateur du site salles-cinema.com. D’un style art déco, sa salle unique de 1700 fauteuils comprenait un orchestre, deux balcons, un bar. Les spectateurs y étaient accueillis avec des ouvreurs en livrée avec casquette.»

Avant d’être assassiné à Auschwitz en 1942, son fondateur, le producteur Bernard Natan d’origine roumaine en avait fait un cinéma d’exclusivité, spécialisé dans les grandes productions comme Les Croix de Bois de Raymond Bernard, Le testament du Docteur Mabuse de Fritz Lang ou encore les films de Sacha Guitry. Avec plus de 300.000 entrées, son plus grand succès a été Blanche Neige et les Sept nains de Walt Disney resté à l’affiche dix-huit semaines d’affilée en 1938. «Sous l’occupation, les Français juifs n’ont plus le droit d’exploiter des théâtres et des cinémas. Le Gaumont Champs-Élysées devient un “Soldaten Kino”, un cinéma réservé aux officiers nazis et à leurs invités. À la Libération, il est à nouveau réquisitionné, cette fois pour les officiers des troupes alliées», explique Axel Huyghe. En 1968 puis en 1974, il est petit à petit compartimenté en six salles. En 1992, il est rebaptisé Gaumont Champs-Élysées Marignan.

Sa disparition n’est pas vraiment une surprise. Quand Pathé – qui était surtout fort en région – a repris les cinémas Gaumont, très bien implantés dans Paris, les Gaumont de la capitale sont devenus des Pathé. À l’exception d’une poignée dont le Gaumont Champs-Élysées Marignan. Ce n’était pas bon signe. Sur les Champs-Élysées, le Gaumont Ambassade avait déjà fermé en 2016. L’UGC George-V a signé son clap de fin en 2020 après 82 ans d’existence.

Avec l’essor de magnifiques multiplexes en périphérie, les cinéphiles habitant en banlieue n’ont plus besoin ni envie de venir sur les Champs-Élysées pour y voir des films sur grand écran. Les Parisiens eux ont depuis longtemps changé leurs habitudes. À l’origine, les deux grands lieux de cinéma étaient les Champs-Élysées et les Grands Boulevards. En 2023, depuis l’essor des UGC Cité, des beaux MK2 comme des salles Pathé signées par de grands architectes, les Parisiens vont surtout voir des films à Montparnasse, à Opéra, Beaugrenelle, aux Halles, dans l’Est et au Nord de la capitale. Même l’industrie du septième art français a déserté les Champs-Élysées. Les bureaux des producteurs et les agents qui ont le pouvoir aujourd’hui, sont tous dans le centre de Paris et dans l’Est. «En 30-40 ans, le nombre de cinémas sur les Champs-Élysées a chuté de vingt à quatre. Il ne reste plus que l’UGC Normandie avec sa magnifique salle au ciel étoilé, le Lincoln, le Publicis et dans les rues perpendiculaires, le Balzac et le Mac Mahon. Ces cinémas résistent notamment grâce aux avant-premières et à la programmation de festivals », souligne Axel Huyghe.

Pour Aurélien Bosc, président de Pathé Cinémas, le Gaumont Champs-Élysées Marignan posait un souci non pas de loyer mais d’ingénierie immobilière. «Nous avons multiplié les efforts pendant dix ans pour le transformer en cinéma premium comme au Pathé Parnasse . Les projets de modernisation se sont enchaînés mais n’ont jamais pu aboutir notamment en raison de contraintes architecturales et techniques dues au caractère patrimonial de l’immeuble, explique Aurélien Bosc. Faute d’être propriétaire des murs, nous avons été confrontés à l’absence d’accord entre nos deux copropriétaires et à des stratégies divergentes sur cet ensemble immobilier emblématique des Champs-Élysées.» Ajoutés à cette impasse, la chute de fréquentation sur les Champs-Élysées et les investissements énormes dans les nouveaux navires amiraux du groupe Pathé comme le Pathé Parnasse et le Pathé Palace près de l’Opéra Garnier, ont scellé le sort du dernier Gaumont sur les Champs-Élysées. Il a fallu arbitrer.

À la mairie de Paris, Michel Gomez, délégué de la Mission Cinéma promet qu’il n’y a pas d’autres fermetures prévues. «Après la pandémie, les salles de patrimoine comme celles du Quartier Latin ont mieux résisté que les multiplexes», souligne-t-il. Ces baisses de rideau sont certes bien tristes mais ce qui se prépare à sortir de terre est magnifique. «Le Pathé Palace à Opéra sera le plus merveilleux cinéma de la capitale, les spectateurs iront dans les salles en montant vers le ciel», confie Michel Gomez qui a eu la chance de visiter le chantier et de voir les plans. L’architecte Renzo Piano a dessiné un cinéma baigné de lumière, l’exact contraire de l’UGC Cité Ciné les Halles. «Le Pathé Palace ouvrira en juin 2024», révèle Aurélien Bosc.

Toujours sur la rive droite mais au nord de Paris près de la Villette, il s’apprête également à rouvrir la Géode. Un cinéma très singulier en forme de sphère métallique parfaite avec ses parois en miroir. «Les spectateurs le découvriront au printemps 2024, annonce-t-il. La structure en béton de l’architecte Adrien Fainsilber a été conservé et mis en valeur. En entrant, on découvrira enfin ses poutres immenses. Ce cinéma hémisphérique avec une double projection IMAX sera très singulier. Nous voulons en faire un lieu d’émotion. En journée, nous y projetterons des documentaires et le soir, les films importants du moment.» Décédé en février 2023 à l’âge de 91 ans, l’architecte ne verra pas son œuvre vivre à nouveau.

Enfin, rive gauche, le chantier de la Pagode avance à bon pas. Le nouveau propriétaire Charles Cohen, un milliardaire cinéphile new-yorkais qui a déjà restauré avec goût plusieurs cinémas de patrimoine en Grande-Bretagne et aux États-Unis a dépensé sans compter pour faire renaître ce bijou. Les dorures, les sculptures, les fresques sont d’une beauté à couper le souffle. La réouverture de ce cinéma sera l’un des grands évènements parisien après les Jeux olympiques. La Pagode dévoilera toute sa beauté entre fin 2024 et début 2025.

*Multiciné : Boris Gourevitch, l’homme des complexes. Axel Huyghe, Préface de Frédéric Mitterrand, Axel (L’Harmattan), 32 euros. 144 pages.