Luxe, calme et volupté. Le slogan conviendrait parfaitement à cette villa corse surplombant la Méditerranée. Antoine a emmené sa petite amie en vacances chez son père. Tous deux préparent l’ENA. Leur arrivisme n’est pourtant pas fait du même bois. Madeleine est pure et exaltée. Écologiste et féministe, elle a tout pour plaire. Lui est faible et obéissant.
On en aura la preuve au cours d’un dîner où la jeune fille secoue les invités par ses propos directs, enflammés. Normalement, au grand oral du concours, elle devrait faire un malheur. Cela n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde: à table, une ex-secrétaire d’État (Emmanuelle Bercot) a repéré le potentiel de sa voisine.
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On pourrait lui attribuer la formule définissant l’île de Beauté: souvent conquise, jamais soumise. L’avenir semble tout tracé. Il suffira d’un rien, un stupide doigt d’honneur adressé à un autochtone qu’on dépasse sur la route, pour que les choses basculent. Antoine se bagarre avec l’automobiliste local. La situation s’envenime. Bilan: un mort.
Bref moment d’affolement: le couple décide d’enterrer l’arme dans un bosquet et de ne rien dire à la police. Ce secret pourrira leurs relations. De retour à Paris, Antoine et Madeleine se taisent, échangent des regards en coin. Elle collabore maintenant avec la ministre du Travail. Un projet de loi est sur les rails.
Le fiancé n’en mène pas large, propose de moins se voir. On connaît cette chanson. Le futur beau-père prend parti pour sa progéniture. Comme si cela constituait une surprise! Les sentiments des amoureux n’y résisteront pas. Les adultes considèrent l’idéalisme de leurs cadets avec un air entendu. Cela leur passera.
Rebecca Marder ne se laisse pas marcher sur les pieds. Droite dans ses escarpins, elle ne dévie pas d’un pouce de sa trajectoire, rêve de justice sociale, soutient les grévistes d’une usine, bouscule les habitudes des hauts fonctionnaires (Emmanuelle Bercot n’en revient pas de ce culot qui lui rappelle sans doute ses débuts dans la carrière).
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Elle revoit son père soixante-huitard qui ne s’est pas beaucoup occupé d’elle et dont elle avait peut-être un peu honte. Le ténébreux Marc Barbé considère sa fille avec un mélange de fierté et de fatalisme. Ça, elle ne sera jamais présidente. Ça n’est pas grave. Il y a autre chose dans la vie.
Sylvain Desclous renoue avec le cinéma politique, signe un film propre, efficace, sans bavures. On y montre les menues compromissions, la lâcheté masculine, les accommodements avec la vérité. Tout n’est pas perdu. Les politiques continueront à citer Conan le Barbare et Neruda. Un stylo quatre couleurs représente ici l’espoir, la passion. Un bout de tissu rouge scelle un pacte absolu.
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Le frêle et dégarni Benjamin Lavernhe est désemparé, fuyant en diable. Pas facile de tenir tête à cette Rebecca Marder qui est en train d’envahir les écrans français avec une fougue, une sérénité, un naturel qui confondent. Elle a du caractère à revendre. Elle a compris que le talent, comme la jeunesse, était un risque à courir. On vote pour elle.
La note du Figaro : 3/4.
«De grandes espérances», drame de Sylvain Desclous, avec Rebecca Marder, Benjamin Lavernhe, Marc Barbé. Durée 1h45.