Canicule au programme du festival d’Avignon. Les habitués ont prévu chapeau, crème solaire et baskets pour leur marathon. Avec 1200 spectacles dans le off, «seulement» quarante dans le in, Jean Vilar ne serait pas mécontent de toucher le plus grand nombre.
«Vous avez vu Ma Séraphine ?», demande une habituée à une autre voyageuse qui vient d’arriver par le train dans la cité des Papes. Effectivement, Marie-Bénédicte Roy sous le tablier de la domestique, Séraphine Louis rebaptisée Séraphine de Senlis est bluffante de vérité. Elle frotte le plancher et sert ses maîtres, des bourgeois qui n’ont que faire de son talent de peintre. Un jour, le collectionneur, critique d’art et marchand allemand, Wilhelm Uhde (Laurent Charpentier) remarque ses tableaux représentant des fleurs. Il a déjà repéré Picasso, Braque et le Douanier Rousseau. Séduit par la naïveté et la beauté des œuvres, il convainc Séraphine de les vendre. Celle-ci a besoin de l’autorisation de la Vierge Marie et veut avoir de l’argent pour se marier. Patrice Trigano est l’auteur du texte (Éditions Maurice Nadeau) et Josiane Pinson le met en scène.
» Ma Séraphine, à l’Espace Roseau Teinturiers.
On avale un litre d’eau avant de battre le rythme face à Punk.e.s ou Comment nous ne sommes pas devenues célèbres, d’après un livret de Rachel Arditi et Justine Heynemann (Songe à la douceur). À la Scala Provence, les deux auteures relatent «librement» l’histoire des Slits, le premier groupe de punk féminin londonien à avoir obtenu le contrôle de son image auprès de leur maison de disques. Âgées de 14 à 20 ans, Viv Albertine, Ari Up, Palmolive et Tessa Pollit s’associent en 1976. Considérées comme les sœurs des Sex Pistols, ces quatre fortes têtes vont devoir apprendre à se connaître avant de travailler ensemble. Rachel Arditi, Charlotte Avias, Salomé Dienis Meulien, Camille Timmerman, Kim Verschueren se démènent sur le plateau dans la mise en scène de Justine Heynemann et les arrangements de Julien Carton. Ça déménage sur le plateau de celles qui clament leurs révoltes, rêvent d’avoir leur nom en haut de l’affiche et de s’imposer dans un milieu machiste. Les filles prennent leur revanche, James Borniche est le seul acteur masculin.
» Punk.e.s ou Comment nous ne sommes pas devenues célèbres, à la Scala.
On sort en scandant Typical Girls pour rejoindre un autre théâtre en rasant les murs de vieilles pierres pour rester à l’ombre. Le mistral matinal a pris un congé. Heureusement, le BA théâtre d’Avignon est climatisé et en plus, les sièges sont confortables. Le bouche-à-oreille a fait son office, il n’y a plus de place pour découvrir Le mardi à Monoprix, la pièce d’Emmanuel Darley. «Tu fais encore ta bonne femme!», s’insurge le père de Marie-Pierre. Le vieil homme regrette le temps où avec son son fils, il avait des occupations d’hommes normaux. Celui-ci s’appelait Jean-Pierre. Mais vêtue d’une robe (signée Jean-Paul Gaultier), perchée sur des talons, «désormais telle quelle», Marie-Pierre s’assume et pousse le caddie pour faire ses courses. Pudique et généreux, guidé avec bienveillance par le collectif Ah le zèbre, le comédien se livre sans fards. Sa performance étreint les cœurs.
» Le mardi à Monoprix, au BA théâtre d’Avignon et du 1er au 30 septembre aux Déchargeurs, à Paris.
Au théâtre La Luna, cette fois, c’est un uppercut qui nous tire des larmes. Gaël Leiblang incarne le héros titre de Tu seras un homme papa, sous la direction de Thibault Amorfini. Son fils est né prématurément et atteint du syndrome Charge. Tout en retenue, en effectuant une course à pied ou un combat de boxe, l’ancien journaliste sportif raconte les treize jours de vie de son fils Roman. Un calvaire, mais jamais, il ne tombe dans le pathos quand il évoque l’intolérable douleur, sa femme et ses filles. Un spectacle en forme de résilience.
» Tu seras un homme papa, au théâtre La Luna.
Changement de registre au théâtre du Chêne noir, où l’on applaudit Hugo Becker et Pierre Rochefort dans Les Variations énigmatiques d’Eric-Emmanuel Schmitt monté par Paul-Émile Fourny (Éditions Albin Michel). Un journaliste vient interviewer un écrivain célèbre qui vit reclus sur une île à propos de son dernier livre. Le plus beau selon les critiques. Au fil des dialogues et des verres d’alcool avalés comme de la limonade, les masques tombent, les personnages se révèlent, il y a une grande absente. La pièce est riche en coups de théâtre et coups de feu. Dans la salle mythique, on a complètement oublié qu’il fait très chaud dehors.
» Les Variations énigmatiques, au théâtre du Chêne noir.