L’auteur français Laurent de Brunhoff, qui a repris avec succès le flambeau des aventures du célèbre éléphant Babar, adoré des enfants du monde entier, est décédé vendredi à l’âge de 98 ans en Floride, dans le sud des États-Unis, selon les médias américains.
L’illustrateur est «décédé vendredi à son domicile de Key West, en Floride», a rapporté le journal New York Times, citant son épouse Phyllis Rose qui a évoqué des «complications après un accident vasculaire cérébral». Cette dernière postait il y a trois jours sur Instagram une peinture réalisée fin février représentant Laurent de Brunhoff et son infirmière. «Peu de temps après, Laurent a eu un mini-AVC» et son état «s’est rapidement dégradé», avait-elle écrit. Avant d’ajouter: «Il est en soins palliatifs, à la maison, dormant presque tout le temps, aussi doux, calme et adorable qu’il l’a été toute sa vie.»
«Dans la grande forêt, un petit éléphant est né. Il s’appelle Babar.» En écrivant, en 1931, cet incipit en dessous d’un dessin pour ses deux fils, Jean de Brunhoff n’imaginait pas que son éléphant deviendrait un classique et entrerait au musée huit décennies plus tard. En 2011, pour les 80 ans du personnage, la Bibliothèque nationale de France et le Musée des arts décoratifs, lui consacraient une exposition. Sur les cimaises de la galerie des jouets du Musée des arts déco, le public pouvait admirer les premiers pas du plus célèbre des pachydermes de la littérature de jeunesse.
Laurent de Brunhoff avait 5 ans lorsque sa mère, la pianiste Cécile de Brunhoff, lui raconta pour la première fois l’histoire d’un éléphant orphelin; il en avait 6, lorsque son père, le peintre Jean de Brunhoff, publia L’Histoire de Babar aux Éditions du Jardin des modes; il en avait 12, lorsque son père mourut de tuberculose et 13, lorsque son oncle lui demanda de finir de colorier les planches de Babar en famille, album inachevé; il avait 21 ans, enfin, lorsqu’il décida de reprendre les aventures du petit éléphant. Il n’a jamais arrêté depuis. «En 1945, je me suis installé à Montparnasse. J’étais fasciné par la peinture abstraite. Mais il y avait Babar. J’étais persuadé qu’il devait continuer à vivre. J’ai alors dessiné l’album, Babar et ce coquin d’Arthur. Ma mère était très heureuse, l’éditeur était ravi. Mes deux frères avaient leur vie. Je ne me suis jamais demandé pourquoi moi. Je l’ai fait très naturellement», expliquait-il au Figaro, en 2011.
S’il ne se souvient plus exactement du soir où sa mère leur raconta, à son frère Mathieu et à lui, cette histoire, il a toujours en tête l’image vive de son père dessinant dans la maison de Chessy, en Seine-et-Marne, où la famille s’égayait l’été. «On adorait le rejoindre en fin d’après-midi pour voir ce qu’il avait fait. On le regardait mettre la couleur.» Là se trouve sans doute la source de sa fidélité au trait originel, la ligne noire et l’aquarelle qui sont la marque de fabrique des Brunhoff, père et fils. Quant à l’histoire, bien sûr elle a évolué. Babar a épousé Céleste. Ils ont eu des enfants. Ils ont voyagé. Ils ont dansé. Ils ont tous pratiqué un instrument, appris à faire du ski et du yoga. Une petite dernière est arrivée sur le tard et dans Coup de foudre aux jeux de Célesteville, le nouvel album qui venait tout juste de paraître, Flore, l’aînée des filles de Babar et Céleste, tombe amoureuse d’un éléphant venu d’Inde. Mais l’essentiel est resté, l’éléphant placide et magnanime dans son costume vert, un monument de stabilité.
C’est bien cette permanence de l’histoire qui rend Babar si attachant. «Les teenagers ont énormément changé depuis que Babar a été créé, mais les jeunes enfants pas vraiment. Écrire pour les petits n’a jamais été un problème pour moi. Je rêve, je dessine sur ma table après un voyage, une rencontre. Je décris une atmosphère familiale dans laquelle les petits enfants se retrouvent. Cette atmosphère est assez confortable, non?», analyse alors le peintre. «Babar fait ce que la plupart des petits enfants voudraient pouvoir faire. Il rejoint le monde des adultes tout en gardant les privilèges de l’enfance, cela en toute impunité… Il peut porter des vêtements d’adulte, prendre l’ascenseur, aller pêcher, conduire une voiture, épouser Céleste et devenir le roi de la jungle. Tout cela parce que sa véritable personnalité est cachée derrière une forme animale et qu’il n’est ni enfant ni adulte, mais un peu des deux», a remarqué très justement la critique britannique Margaret Blunt.
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Fait rare, Babar est aussi célèbre à l’étranger qu’en France. Il y est jugé à l’aune des plus célèbres héros de la littérature enfantine, l’équivalent de Peter Rabbit en Angleterre et de Winnie l’Ourson aux États-Unis. «Le génie des Brunhoff est d’avoir fait du plus lourd des mammifères terrestres un monument de délicatesse», reconnaît l’écrivain Sylvain Tesson dans le livre qui accompagne l’exposition de 2011. L’animal doit bien cette délicatesse à ses créateurs qui ont puisé à la source de leur enfance pour le faire exister. «Je garde des souvenirs merveilleux de mes jeunes années avec mon frère Mathieu, qui était comme un jumeau pour moi, avec mes cousins. Nous étions très proches de nos parents qui ne nous mettaient pas à l’écart de leurs vies d’adultes. Ma mère était musicienne? Nous faisions tous du piano. Mon frère Thierry est d’ailleurs devenu pianiste avant de se retirer dans une abbaye. Après la mort de mon père, notre oncle Michel qui dirigeait l’édition française de Vogue a été comme un père pour nous. Il a tout de suite remarqué mon goût pour le dessin. Nous étions ce que l’on appelle aujourd’hui une famille fusionnelle», confiait laurent de Brunhoff.
Cette félicité a rejailli sur les livres de Babar. «L’environnement de Babar est celui de la bourgeoisie française prospère, cultivée, amoureuse de l’art. Les bonnes manières sont importantes, ainsi que les vêtements de qualité», souligne l’auteur américaine Alison Lurie, dans un essai consacré à la littérature enfantine.
Établi à New York depuis plus de vingt ans, marié à l’auteur américaine Phyllis Rose, Laurent de Brunhoff a fait don de planches originales à la Morgan Library de New York et à la Bibliothèque nationale de France. Babar est outre-Atlantique un monstre de célébrité. Les nouveaux albums sont d’ailleurs toujours édités en premier lieu là-bas. Comme le note l’historien de l’art Michel Pastoureau: «L’une des caractéristiques des albums de Babar par rapport à la plupart des livres pour enfants qui lui sont contemporains, c’est l’absence de toute vulgarité, c’est-à-dire de toute concession aux goûts et aux modes du moment».