Madeleine Chapsal a passé sa vie à écrire des romans sentimentaux, parfois cinq ou six dans l’année ; près d’une centaine au total. Elle a toujours eu un public fidèle et nombreux. Mais celle qui a siégé longtemps au sein du jury Femina n’a jamais reçu de prix littéraires et fut ignorée de la critique. Elle avait pourtant son style, Madeleine Chapsal, un style qui a percé dès son premier succès La Maison de jade (près d’un million d’exemplaires), où, déjà, elle abordait un thème qu’elle n’abandonnera jamais : celui des intrigues de la passion amoureuse, toujours à travers le regard d’une femme qui n’est plus aimée.

Si le succès est au rendez-vous, cette fiction va aussi l’enfermer dans la catégorie des « romancières populaires » dont il est difficile, pour ne pas dire impossible, de se détacher. Il faut dire que les titres même de ses livres* n’invitaient pas à autre chose, ils étaient une trentaine à contenir le mot « amour » « femme » ou ses variantes : Un amour pour trois, L’Amour n’a pas de saison, Adieu l’amour, La Femme abandonnée, Les Amoureux, La Maîtresse de mon mari, Affaires de cœur, Le Charme des liaisons…

Née en septembre 1925, elle a d’abord été journaliste, notamment à L’Express où elle participe à l’aventure de sa création avec son mari d’alors, Jean-Jacques Servan-Schreiber, avant d’appartenir au cercle restreint des auteurs vivant de leur plume. Cela ne l’empêchait pas d’être tout sourire lorsqu’un journal accordait une petite recension à l’un de ses romans, des romans qui se vendaient tout seuls. Elle se réjouissait également lorsqu’elle recevait une distinction, aussi mineure soit-elle.

Quand elle a décroché la première récompense littéraire de sa longue carrière, ce mois d’août 2005, elle était tout heureuse. C’était le prix Femme de lettres, reçu des mains de Renaud Donnedieu de Vabres, alors ministre de la Culture. « Je ne savais pas que j’en étais une. Je me suis toujours cru plutôt marginale », a-t-elle confié à Jacques Pessis. Et d’ajouter : « Je n’ai rien eu depuis le temps lointain où j’étais élève au cours Lamartine, et accumulais les croix d’honneur et les prix d’excellence. Je m’étais faite à l’idée que cela ne changerait jamais ! »

Elle continuait son petit bonhomme de chemin : chaque année, entre ses nombreux romans ou essais et ses livres édités en format de poche, elle a vendu, en moyenne, entre 100 000 et 200 000 exemplaires.

Mais tout a basculé, cette semaine de novembre 2006. Elle publie le premier tome de son Journal d’hier et d’aujourd’hui. Une page va tout déclencher, celle où elle raconte les délibérations du jury Femina. Cela ne plaît pas à une partie des dames visées, qui décident de l’exclure. Elle ne l’a jamais dit, mais cet épisode l’a beaucoup blessée ; d’autant qu’il s’est déroulé la semaine même où elle perdait son premier mari, Jean-Jacques Servan-Schreiber, L’Homme de sa vie, c’était le titre du livre qu’elle lui avait consacré.

* La plupart sont édités par Fayard ou Le Livre de poche.