«Tout le monde m’appelait Francis sur le tournage. Ne m’appelez pas monsieur Coppola.» Le réalisateur américain, qui revient à Cannes quarante-cinq ans après sa palme d’or pour Apocalypse Now, s’est présenté, vendredi, en chemise légère devant les journalistes réunis pour la conférence de presse de Megalopolis. Son œuvre hors norme n’a pas vraiment séduit la critique française. Notre journaliste Éric Neuhoff parle d’un film «à dormir debout» , truffé de «tirades empesées» dans des décors «laids»…
Il n’aura pas été sensible au message politique qu’a voulu porter Francis Ford Coppola. Le cinéaste a transposé, expliquait-il la veille sur France 2, l’histoire de la Rome antique dans une «Amérique moderne» qui traverse «les mêmes vicissitudes». «À la façon dont les Romains ont perdu leur République, nous sommes arrivés, aux États-Unis, à un point où nous pourrions perdre la nôtre», précise-t-il vendredi en conférence de presse.
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Face à ce danger, le réalisateur doublement palmé pour Conversation Secrète (1974) et Apocalypse Now (1979), place peu d’espoir dans l’action politique. «Je ne sais pas si les politiciens peuvent apporter une réponse. Je ne suis pas certain. C’est désormais le rôle des artistes, qui doivent, comme des phares, éclairer la réalité contemporaine.»
Un journaliste l’interroge sur la perspective du retour au pouvoir de Donald Trump. «Il y a une tendance aujourd’hui dans le monde qui pousse vers l’extrême droite et même le fascisme. Ceux qui ont connu la Deuxième Guerre mondiale connaissent les horreurs de l’époque, et on ne veut pas que tout cela se reproduise. Je pense que c’est le rôle des artistes, notamment des réalisateurs, de souligner ce qui se passe.»
Comment a-t-il abordé ce long-métrage monstre ? «Je savais que le film était différent des films que l’on voit actuellement, qu’il n’y avait pas d’éléments de comparaison auxquels j’aurais pu me référer. J’ai fait le film comme je le souhaitais, je l’ai financé moi-même (…)»
«Quand les gens sont à l’article de la mort, ils se disent : “J’aurais voulu faire ceci, cela”. Moi, je pourrai dire que j’ai fait ce que je souhaitais. Je serai d’ailleurs en train de penser à ce que je continuerai de faire et ne pourrai même pas me rendre compte que je meurs», plaisante-t-il.
On lui demande s’il sera amené à monter différemment Megalopolis à l’avenir. S’il y apportera des retouches, comme il l’a fait pour Le Parrain 3. «Quand Catherine de Médicis est devenue reine de France, elle était accompagnée de Leonard de Vinci, qui est venue avec une seule de ses œuvres, inachevée. C’était La Joconde. Si je peux améliorer le film, je le ferai. Mais je sais que ce projet est terminé, j’ai commencé à en écrire un nouveau», annonce celui qui promet, avec un peu d’humour, d’être «encore là dans vingt ans».
Les studios hollywoodiens, eux, ne le seront peut-être plus. Il craint leur disparition et regrette leurs productions plus souvent destinées, selon lui, à effacer leurs dettes qu’à créer des œuvres. «Amazon, Apple, Microsoft, ces sociétés ont en revanche énormément d’argent.» Francis Ford Coppola va-t-il céder, comme son confrère Martin Scorsese, à l’appel des plateformes pour son prochain projet ? Signe de son potentiel commercial incertain, Megalopolis, produit en dehors des circuits des grands studios, n’a pas encore trouvé de distributeur aux États-Unis.
Le réalisateur de 85 ans ne compte pas, en tout cas, s’arrêter en si bon chemin. C’est sa sœur Talia Shire, qui le dit. L’actrice, qui jouait dans Le Parrain et se trouve au casting de Megapolis au côté de Jon Voight, Adam Driver ou Laurence Fishburne, lui tresse des lauriers en conférence de presse. «Il a le courage de créer, de nous obliger à avancer (…) Il était visionnaire déjà à l’âge de 9 ans, il avait la polio et s’est forcé à réapprendre à marcher.»