Il tient à ses 350 marionnettes «comme à la prunelle de (ses) yeux». Mais le gérant du théâtre Guignol du Champ-de-Mars a été prié de quitter les lieux avant les Jeux olympiques et redoute de ne pas retrouver son castelet après l’été. À 500 m de la tour Eiffel, c’est sous la pluie que Julien Sommer ouvre sa porte à une trentaine de parents et enfants pour une adaptation de La Belle et la Bête à la sauce Guignol, héros indémodable depuis le XIXe siècle.
En ce mercredi, les familles s’installent sur les bancs de la petite salle aux 150 places, construite en 1978 par son mentor Luigi Tirelli, qui avait popularisé ce spectacle vivant via la télévision dans les années 1970. Le castelet en lui-même date de 1902. Sur cette antique scène derrière laquelle il travaille depuis ses 15 ans, Julien Sommer, 38 ans, redonne vie à ses marionnettes deux fois par jour les mercredis, samedis et dimanches en période scolaire, sept jours sur sept pendant les vacances.
Mais début janvier, il a reçu «par recommandé» une lettre de la mairie de Paris lui annonçant la résiliation de sa concession au 31 mars prochain. Motif, les travaux prévus par le comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris (du 26 juillet au 8 septembre) sur l’esplanade, où se dérouleront les épreuves de beach-volley et de cécifoot.
D’une durée de six ans, le contrat devait initialement se terminer fin novembre. «Je savais bien, avec les JO, que j’allais devoir fermer mais le traumatisme, c’est la résiliation, carrément, et de ne pas avoir de perspective pour l’avenir. C’est angoissant», dit le marionnettiste.
Contactée par l’AFP, la mairie rappelle qu’une nouvelle concession impose un appel d’offres, la «remise en concurrence» étant un «processus juridique obligatoire». Le Théâtre de marionnettes parisiennes du Champ-de-Mars, son nom officiel, n’est pas le seul commerce pour enfants concerné sur l’esplanade. Un petit karting doit lui aussi partir fin mars, tandis qu’un manège à chevaux de bois, présenté comme «le plus vieux manège de Paris», et une guinguette aux balançoires centenaires ont déjà dû fermer boutique lundi.
Désormais, des grillages les entourent, comme toutes les pelouses de la perspective, ainsi protégées pour retrouver leur éclat en vue de l’événement planétaire. Les Amis du Champ-de-Mars, l’association de quartier, sont «choqués par (ces) dispositions prises de façon brutale», résume son président Jean d’Izarny-Gargas, soulignant «l’intérêt patrimonial» du théâtre.
Les parents, eux, ne cachent pas leur colère. Ainsi Lauren Carraud, qui déplore le «triste spectacle de barricades et de chantiers» et préférerait «voir briller les yeux de nos enfants». Guignol, «c’est une institution dans le quartier», abonde Emmanuelle Vonceslau, 48 ans, venue avec ses deux filles de 6 et 8 ans. «Ce serait dommage qu’il ferme parce qu’il est magnifique et que les enfants adorent ça.» Quant à Gustave, 4 ans, petit-fils de Karima Chauvalon, 63 ans, la fermeture «le rend triste», affirme sa grand-mère.
Julien Sommer, qui crée ses costumes comme ses spectacles, explique tirer en moyenne de son activité 2000 euros mensuels «avant impôts». Pendant six mois «je ne peux pas travailler», résume le gérant, qui va de surcroît devoir louer un espace pour entreposer «décors, éclairages, matériel, bancs»…
Mercredi, la mairie a indiqué à l’AFP que les trois commerces, dont le théâtre de Guignol, dont la convention est résiliée plus tôt que prévu «pourront être indemnisés». Pour tous les commerces, «un travail a été engagé afin qu’ils puissent s’installer durant la période des Jeux dans des sites alternatifs, après mise en concurrence», ajoute-t-elle.
«De nouveaux sites d’exploitations commerciales seront proposés» après les Jeux afin «que ces activités puissent y être à nouveau exercées», poursuit la municipalité, là aussi après «mise en concurrence». «Ce théâtre, c’est ma vie», dit Julien Sommer. «La seule chose qui compte, c’est de revenir et de continuer de faire rêver les enfants».