Correspondant à Caen,
Les élus normands sont vent debout et se déclarent prêts à engager un bras de fer avec l’État. Alors que le ministère de la Culture a annoncé mercredi soir son intention de casser la vente par laquelle la Région Normandie, le Département du Calvados et la Ville de Caen, avaient acquis dimanche dernier la «lettre testamentaire politique» de Charlotte Corday, qui avait assassiné le révolutionnaire jacobin Jean-Paul Marat dans sa baignoire en 1793, Hervé Morin se dit aujourd’hui prêt «à attaquer l’État» devant les tribunaux.
Joint par Le Figaro, le président de la Région Normandie se dit en effet «très en colère» et bien «décidé à ne pas se laisser faire» par le ministère de la Culture, qui a finalement décidé, trois jours après une vente aux enchères transparente, d’intégrer ce document de trois pages aux Archives nationales. Une procédure de «revendication» devrait en effet être déposée par les services de l’État auprès du commissaire-priseur de la vente. Pour l’ancien ministre de la Défense, «c’est assez incroyable qu’un manuscrit, qui n’a jamais intéressé le ministère de la Culture, puisqu’il a régulièrement été mis en vente, la dernière fois c’était même en 2022, soit aujourd’hui un document revendiqué…» Et le président centriste de la région normande de s’exclamer : «Décidément, face aux Girondins, Robespierre continue à régner dans certains esprits parisiens!»
Ce vendredi matin, en présence de Jean-Léonce Dupont, le président du Département du Calvados, et de Joël Bruneau, le maire de Caen, Hervé Morin devrait donc répéter son «indignation» avec force lors d’une conférence de presse commune prévue à l’Abbaye aux Dames, qui abrite aujourd’hui le siège de la Région. Localement, en Normandie, cette «préemption» par l’État de la lettre de Charlotte Corday est vécue comme un affront. Originaire du Pays d’Auge, Marie Anne Charlotte de Corday d’Armont est considérée comme une «enfant du pays». L’acquisition par téléphone dimanche 11 juin, pour la somme de 215.000 euros lors d’une vente aux enchères qui se tenait à Versailles, de son testament politique avait été saluée par l’ensemble des médias locaux. «L’idée, c’est que ce document reste attaché à la région d’origine de Charlotte Corday, qui est née dans l’Orne et a grandi à Caen», se félicitaient encore de concert, en début de semaine, les élus normands.
Interrogée par l’AFP, la maison de vente aux enchères Osenat, où a eu lieu la vente dimanche dernier, a indiqué aujourd’hui que le document resterait sous séquestre dans ses coffres en attendant de recevoir la demande officielle en «revendication» du ministère de la Culture. Celui-ci s’appuierait sur un article du Code du patrimoine, qui stipule que «les archives publiques sont imprescriptibles» et que l’État peut donc engager des «actions en nullité ou en revendication» pour les récupérer si nécessaire.
Composé de trois pages, ce manuscrit, intitulé Adresse aux Français amis des lois et de la paix, fut rédigé par Charlotte Corday juste avant qu’elle n’assassine dans sa baignoire le président du Club des Jacobins le 13 juillet 1793. Caché sous son corsage au moment de son arrestation, il fut finalement soustrait au dossier d’accusation car… n’allant pas dans le sens du tribunal révolutionnaire de l’époque! Depuis, ce manifeste politique, qui est déjà passé par plusieurs salles de ventes depuis 200 ans, a été la propriété de plusieurs collectionneurs.