Drame d’Iris Kaltenbäck, 1h37

Déjà, la soirée avait mal commencé: sur le gâteau, le pâtissier s’était trompé de prénom. Ça n’est pas tout. Son fiancé lui avoue qu’il a couché avec quelqu’un d’autre. Lydia ira seule à la fête. Il y a au moins une bonne nouvelle: Salomé, dont c’est l’anniversaire, découvre qu’elle est enceinte, ce qui nous vaut un clin d’œil à une séquence de Friends. Lydia accueille la nouvelle en silence. Jalouse ? Peut-être pas. Elle n’a pas dit à sa meilleure amie qu’elle venait de rompre. Lydia est sage-femme. Le soir, au lieu de rentrer chez elle, elle arpente les rues de la grande ville, dans son petit blouson en peluche rouge. Elle croise Milos qui est chauffeur d’autobus. Ils passent la nuit ensemble. Pour lui, l’épisode sera sans lendemain. Lydia ne l’entend pas de cette oreille. Elle le harcèle. Il lui demande de le laisser. Des mois ont passé. Le grand jour arrive. Lydia assiste Salomé dans son accouchement (« Plus vite, plus vite, plus vite ! »). Elle tient le bébé dans les bras pour soulager la maman. Dans l’ascenseur, elle tombe sur Milos venu rendre visite à son père hospitalisé: elle lui annonce soudain que l’enfant est de lui.

Une lente spirale se met en place. Lydia joue les baby-sitters. Milos est heureux d’être papa. Les vrais parents ne se doutent de rien. Avec Le Ravissement, Iris Kaltenbäck donne de la chair à un fait divers qui tiendrait en dix lignes dans un journal. L’entreprise doit beaucoup à la performance d’Hafsia Herzi. L’actrice rend la détresse tangible, avec sa drôle de voix, son ton égal, inoubliable. É.N.

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Drame de Vladimir Perisic, 1H38

On est très sérieux quand on a 15 ans. Stefan est un adolescent sage, un élève appliqué. Mais, en cette année 1996, dans les rues de Belgrade, la colère gronde. Le Parti socialiste a perdu les élections municipales; le régime de Slobodan Milosevic refuse d’admettre sa défaite. Les étudiants se mobilisent, impriment des tracts et préparent des manifestations. Stefan s’intéresse peu à la politique. Il a une relation fusionnelle avec sa mère, Marklena. Cette mère bien-aimée est la porte-parole du gouvernement de Milosevic. Elle se répand dans les médias pour dénoncer la cinquième colonne qui veut plonger le pays dans la guerre civile. À la maison, elle chuchote au téléphone, organise la propagande, la manipulation de l’opinion et la répression des manifestants. Stefan devient le traître, le fils de la « salope ». Ses amis lui tournent le dos. Des avis de décès sont placardés dans l’immeuble de Stefan. Ils annoncent la mort de Marklena, « suite à un discours honteux du 20 mai 1996 ». Stefan les arrache, empli de rage contenue. Le conflit de loyauté ronge le garçon.

Dans Lost Country, écrit avec la cinéaste française Alice Winocour (Revoir Paris), Vladimir Perisic s’inspire de sa propre histoire. Il avait vingt ans en 1996. Sa mère travaillait au ministère de la Culture sous le gouvernement de Milosevic. À son arrivée en France pour ses études à la Fémis, il a aussi lu en 1994 un entrefilet dans Libération sur le suicide de la fille de Mladic, le chef de l’armée de la République serbe de Bosnie, condamné pour crimes contre l’humanité. Un an avant Srebrenica. La fin de Lost Country, d’un pessimisme terrible, a ainsi sans doute valeur d’exorcisme pour ces enfants de la guerre. E.S.

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Comédie dramatique de Yolande Moreau, 1h43

À Charleville, le long des berges de la Meuse, défile un drôle de cortège. À sa tête, des mariés peu conventionnels, un cow-boy lunaire en veste à franges et jean immaculés, chapeau sur la tête et cordelette en cuir autour du cou (Esteban), main dans la main avec sa « jeune » épouse (Yolande Moreau) en longue robe brodée bleu et or, aux airs de babouchka slave, ses longs cheveux blancs remontés en un chignon lâche. Le mariage n’en est pas tout à fait un, les époux sont un faux couple, mais qu’importe, l’heure est bien à la noce.

Dans son nouveau film, La Fiancée du poète, Yolande Moreau a convoqué un casting joyeux et baroque, entourée par une belle brochette d’acteurs. Dans cette jolie comédie, elle est bel et bien Mireille, cette « fiancée du poète » qui, après un séjour en prison, retrouve sa ville natale et sa maison d’enfance, dont elle a hérité. Dans cette grande bâtisse décrépie, gardée par la statue d’un cerf monumental, elle décide d’accueillir trois locataires très différents, mais qui cachent tous quelque chose. Cyril, jeune étudiant aux Beaux-Arts, où elle travaille comme cantinière, fâché avec sa famille ; Bernard, jardinier municipal qui sort la nuit transformé en travesti ; et Elvis, Turc sans papiers qui aime le folk et l’Amérique. Ils sont bientôt rejoints par Fernando, l’ancien grand amour de Mireille, qui l’a trahie et abandonnée des années auparavant.

Couvant ces loustics de son regard bleu mélancolique telle une mère poule faussement sévère, veillant à la bonne marche de la maisonnée avec des petits trafics de cigarettes, elle va embarquer son monde dans une drôle d’aventure. Yolande Moreau se dévoile sans doute beaucoup dans ce film, son troisième, un peu foutraque comme ses personnages mais follement attachant, d’une tendre humanité un rien désuète mais radieuse. V.B.

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Drame de Jean-Pierre Améris, 1h43.

Serveuse pleine de tchatche, Marie-Line (Louane, La Famille Bélier) n’a guère d’horizon au-delà de son Havre natal. Son père docker a perdu sa jambe dans un accident du travail, l’école n’a pas vraiment voulu d’elle. Alors quand le beau et cultivé Alexandre (Victor Belmondo) lui fait de l’œil, elle fond. Mais quel avenir ont un passionné de cinéma et une néophyte qui pense que François Truffaut est le fondateur des jardineries du même nom? La rupture est brutale et lâche.

Dans sa douleur, la jeune femme en vient aux mains. La voici déférée au tribunal où le juge (Michel Blanc bougon et sauvage à souhait) lui assène ses quatre vérités. Mais par un curieux jeu de hasard, Marie-Line va devenir son chauffeur. Leur cohabitation, leur franchise abrasive va pousser chacun à confronter ses peurs pour renouer avec ses ambitions et rêves.

En dépit d’une bande-annonce suggérant une comédie intergénérationnelle, Marie-Line et le juge est plutôt une fable sur le déterminisme social mélancolique. La sincérité et la spontanéité de Louane et Michel Blanc ne suffisent pas entièrement à nous convaincre de la véracité ou de la portée du propos prévisible. Ce joli duo tourne un peu trop en rond. C.J.

Drame de Vanessa Filho, 1h59

«J’étais avec Gabriel, maman. Il m’a écrit un poème.» «Il est dans ta classe ?», répond la mère ingénument à son enfant. Comme dans les contes de Perrault, elle n’a pas vu le loup venir. Le spectateur, si, qui connaît l’histoire de Vanessa Springora, à travers son récit Le Consentement, qui racontait comment l’écrivain Gabriel Matzneff avait abusé d’elle et en avait fait sa chose alors qu’elle n’avait pas encore 14 ans.

Publié en 2020, l’ouvrage a fait l’effet d’une bombe dans le milieu littéraire parisien, qui, après quelques circonvolutions et toussotements, bannit celui qu’il avait encensé plus de quarante ans durant. «C’est un pédophile!», s’étrangle Laetitia Casta, qui interprète la mère de la jeune Vanessa (Kim Higelin) dans le film de Vanessa Filho. Qu’importe que Gabriel ait 50 ans et elle 14. Dans le rôle du pédophile Jean-Paul Rouve, aminci, chauve et précieux met ses lunettes noires à l’extérieur et les enlève à l’intérieur dans l’intimité de sa garçonnière où il abuse de sa jeune proie. Fallait-il faire un film de ce récit qui imposa avec force sa vérité ? C’est la question que l’on se pose en sortant de cette projection pénible. L’un des arguments des producteurs vise à faire connaître ce texte sur l’emprise et la dépossession à un public qui ne connaît pas Gabriel Matzneff.

L’auteur n’était pas nommé dans le livre de Vanessa Springora, sinon par la lettre G. Il est ici clairement identifié et cité, mais, en réduisant le personnage à sa seule dimension perverse, on peine à comprendre comment une adolescente a pu succomber à son charme. Il aurait été intéressant de décentrer le récit en s’attachant à décrire ce milieu si complaisant avec l’homme mûr s’affichant avec des adolescentes. Le film rate cette occasion de peindre cette société dans ses nuances les plus séduisantes comme les plus sombres. F.D.

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