Filles sexualisées, culture macho et paroles crues: développé sur les ruines du communisme, le genre musical «tchalga» continue à séduire les jeunes Bulgares, un succès qui inquiète dans un pays miné par les violences contre les femmes. «Punis-moi, saisis-moi par les cheveux, dis-moi ce que tu veux», entonne la star au nom de scène Diona, longue natte brune et tenue sexy, sur des rythmes orientaux entêtants. Dans ce stade de la ville de Haskovo, dans le sud du pays, le public est survolté. Quand l’Occident a le rap, «nous avons la Tchalga, ici comme en Serbie», lance entre deux danses Viktor Panev, un jeune homme musclé comme les vedettes de ses clips préférés. «Elle incarne l’âme bulgare». Ce mélange de musique folklorique balkanique et orientale agrémentée d’éléments pop s’est largement répandu dans les années 1990, plaisant aux «nouveaux riches». Ses tubes mettent en scène des femmes légèrement vêtues chantant des histoires d’argent facile, de sexe et de gangsters. Mais loin de la scène, des adolescentes de 17 ans venues par curiosité à ce concert gratuit racontent l’emprise de cette culture au quotidien. «Nous sommes submergés par la Tchalga», confie Kristiana, préférant taire son patronyme. Elle inonde les discothèques et influence les lycéennes, «qui se font refaire lèvres et seins pour ressembler à leurs idoles». Avec cette mentalité, «ce n’est pas étonnant de voir des cas comme celui de Deborah», renchérit son amie Styliana, en référence à un drame récent qui a bouleversé la Bulgarie.
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Deborah Mihailova, 18 ans, est devenue le visage de violences conjugales qui souvent se déroulent en silence. «Gifle, coup dans l’estomac, il me traitait d’ordure», a-t-elle raconté au sujet de son compagnon dans une récente interview sur une populaire chaîne YouTube. Jusqu’à ce jour de fin juin où il l’a tailladée des dizaines de fois, lui a cassé le nez et rasé les cheveux, selon son récit. D’abord laissé en liberté, ce videur de boîte de nuit de 26 ans – qui nie l’agression – a été arrêté cet été sous la pression d’une opinion publique scandalisée. Après des années d’indifférence, des milliers de personnes sont descendues dans la rue et les autorités ont durci les peines pour ce type d’affaires. Selon une enquête de l’institut Trend publiée fin août, ce fait divers a accéléré la prise de conscience de la société. Ils sont désormais 76% des Bulgares à juger que «la violence domestique est un problème important», contre seulement 50 à 60% auparavant. Et la parole semble se libérer: la police a enregistré près de 600 dossiers entre janvier et août 2023, soit quasiment autant que sur l’ensemble de l’année 2022, le ministère de l’Intérieur notant «une nette hausse des enquêtes depuis le cas Deborah». Il n’existe en revanche pas de données officielles sur le nombre de féminicides. Les ONG font état d’au moins 15 cas depuis début 2023 dans ce pays de 6,5 millions d’habitants.
Subitement dans la lumière, Deborah Mihaïlova, fan de Tchalga, a été invitée par son chanteur préféré à tenter sa chance dans le milieu. Mais ONG et experts s’inquiètent des «préjugés» véhiculés par cette culture. «Violence et Tchalga forment un cercle vicieux», estime Dilyana Dimitrova, directrice d’un site culturel renommé. «C’est une façon de penser méprisant les plus faibles, louant implicitement la corruption» et avilissant la femme, tranche-t-elle. Si l’AFP n’a pas pu interroger les célébrités du milieu, le producteur vedette, Payner, rejette toute responsabilité. «Ce n’est pas parce qu’il existe des esprits malades que nous devons renoncer à montrer la beauté féminine», a-t-il réagi. Loin du mouvement