Sa façade parsemée de clichés en noir et blanc attire le regard des curieux. Derrière la vitrine du numéro 6, rue de Seine, la plus ancienne agence photographique de la capitale est devenue galerie d’art en 2020. À quelques pas de là, le fleuve coule. Jouissant de cette proximité et d’une actualité olympique, la galerie Roger-Viollet met à l’honneur la Seine en 86 photographies d’époque, datées de la fin du 19e siècle jusqu’aux années 1960, à travers l’exposition «Paris rive droite / rive gauche. Les bords de Seine entre labeur et loisirs».
D’emblée, les premiers clichés plongent – littéralement – dans l’histoire de la Seine et dressent un parallèle avec les Jeux Olympiques qui se dérouleront l’année prochaine dans la capitale. Tantôt, on assiste à un plongeon à bicyclette au championnat de France, le 22 juin 1913 ; tantôt, on s’étonne d’un entraîneur appliquant de la graisse sur un nageur, à l’occasion de la traversée de Paris à la nage, en juillet 1917. «Il fallait nager entre le Pont National et le Pont Mirabeau», précise Gilles Taquet, directeur de la galerie. «À l’époque, il était donc possible de se baigner dans le fleuve, contrairement à dimanche dernier », continue-t-il en riant. Le 6 août une épreuve de natation a été annulée à cause de la pollution.
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Sur les quais, les pêcheurs s’alignent ; les enfants s’éclaboussent en se baignant, dans le Ier arrondissement. «De nos jours, la Seine est principalement associée avec l’idée de loisirs. Mais auparavant, c’était aussi ça», indique Gilles Taquet, en désignant une photographie de 1908 où un perruquier ambulant s’affaire sur les quais.
«La Seine traverse Paris ; on y travaillait, il y avait plein de petits métiers», poursuit le cofondateur de Photononstop, première agence française indépendante de photographie. «Des laveurs de chiens, des coiffeurs, des perruquiers, des vachers, des cochers, des matelassiers», énumère-t-il.
Les photos sont dispersées en ordre thématique. D’un côté, le labeur est représenté au fil des années, puis vient l’exposition universelle de 1900. «Cet évènement a profondément modifié le paysage, cela a donné un style plutôt décousu», s’amuse Gilles Taquet à propos des pavillons – un pour chaque pays – aux styles architecturaux si divers, et pourtant alignés côte à côte le long du fleuve.
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Sur le mur d’en face, la construction du métro se raconte en quelques photographies, – «tout est en travaux, et cela n’a pas changé !» -, d’une qualité impressionnante. Les clichés ont été réalisés sur des plaques de verre et sont tirés à trente exemplaires maximum. La plupart n’ont jamais été exposés. «Cette force du détail permet encore de se plonger dans les époques», s’enthousiasme Gilles Taquet. «Et la profondeur de champ participe à cette projection historique».
«L’histoire de la Seine est aussi marquée par ses prouesses technologiques, notamment la construction du métro. Il a fallu enfouir des caissons sous le fleuve», raconte le directeur. Plus loin, sept photographies, plus romantiques, sont suivies d’images surréalistes de la grande crue, en 1910 – le niveau de la Seine avait grimpé à plus de huit mètres !
«Mais comment arrivez-vous à récupérer toutes ces photos ?», s’exclame une dame, émerveillée. Il y a en effet de quoi ; entrer dans la galerie Roger-Viollet, c’est un peu comme remonter le temps.
Avant de devenir une galerie, Roger-Viollet fut une agence photographique, fondée en 1938 par Hélène Roger-Viollet – ce qui en fait la plus ancienne de la capitale. Aux côtés de son mari, la photographe rachète des agences tombées en désuétude, des reproductions de tableaux et capture dans son objectif les quatre coins du monde, pour collecter plus de six millions de clichés. Hélène Roger-Viollet meurt à 83 ans, assassinée par son mari, et lègue à la Ville de Paris des milliers de plaques de verre et négatifs. Rapidement, l’héritage devient encombrant, d’autant plus que l’agence peine à être rentable. En 2019, l’Hôtel de Ville de Paris lance un appel d’offres ; Gilles Taquet, qui a déjà monté deux agences photographiques, présente un projet de galerie et remporte l’appel d’offres.
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Dans le bureau du nouveau directeur trône une photographie géante de Jean Jaurès ; des centaines de boîtes vertes comportant des photographies tapissent les murs de la galerie jusqu’au plafond, classées par thématique – «André Gide», «Louis-Philippe», «Misère», «Cidre», ou encore «Torture». Gilles Taquet a exhumé les clichés du fleuve de ces archives.
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De l’autre côté, dans la partie galerie de l’ancienne agence, un couple s’attarde sur une photographie des guinguettes et bateaux-mouches, en l’année 1900. «Départ pour la ville de Charenton», «Pharmacie centrale du Nord», «Grand bal» annoncent les cartels. Au loin, on devine la Tour Eiffel ; au centre, la Seine. Entre labeur et loisirs.
«Paris rive droite / rive gauche. Les bords de Seine entre labeur et loisirs», jusqu’au 30 septembre, au 6, rue de Seine à Paris (VIe arrondissement).