Trois fauteuils jaunes. Une petite table ronde et dessus, un Pléiade. Mais pas n’importe lequel, la Pléiade des Pléiades. Ce jeudi 25 avril, l’assemblée était nombreuse pour assister à la présentation du 671e volume de la prestigieuse collection de Gallimard au sein de l’auditorium de la cité internationale de Villers-Cotterêts. Un lieu tout trouvé pour parler d’une poésie et d’une langue vivante, ainsi que l’a présenté Paul Rondin, le directeur du château qui a ouvert ses portes en octobre de l’année dernière.
« Cette cité internationale n’est ni un musée ni un conservatoire de la langue. Or, avec la Pléiade, on est à l’endroit même d’une poésie, d’une langue qui invente. » Aux côtés de Paul Rondin, Antoine Gallimard a lui-même rappelé ce lien qui unit le château, où fut signé en 1539 l’Ordonnance de Villers-Cotterêts « prescrivant que les jugements, arrêts ou actes judiciaires seraient dorénavant en langue française » et la poésie du XVIe siècle. Rappelons-le ici, de 1547 à 1559, la Pléiade désigne le premier groupe de poètes en langue française, constitué de Ronsard, Du Bellay, Tyard, Baïf, Des Autels, Jodelle et de La Péruse. Du moins, c’est ainsi qu’on le présente. Car, ce nom de mouvement a été donné rétrospectivement et il ne s’est pas limité à ces sept auteurs. Mais on y reviendra.
« Cette ordonnance, qui fut un geste politique pour l’unité de la langue comme un geste administratif et culturel, n’a pas échappé aux poètes, sous le règne d’Henri II », a continué Antoine Gallimard. À cette époque, les poètes avaient en effet un rôle politique. « Ils ont donc compris l’utilité d’illustrer la langue française, en l’enrichissant de l’Antiquité, de l’Italie voisine, afin de permettre un renforcement de l’État et donc, du roi. » Oui, mais c’était sans compter qu’Henri II n’était « pas très sensible à la poésie. Henri II possédait des maisons de chasse, il aimait Villers-Cotterêts pour la qualité de la chair du cerf. Il était plus sportif que littéraire. »
Aussi, ce volume de la Pléiade constitue-t-il une chronique inédite des poètes de la Pléiade sous le règne d’Henri II, comme l’a écrit Mireille Huchon, en introduction dudit ouvrage qu’elle a dirigé. En 1547, paraissent les premiers poèmes de Ronsard et de Du Bellay dans l’édition des Œuvres poétiques de Peletier du Mans. Très vite, suivent la Deffence, et illustrations de la langue francoyse, de Du Bellay, qui passa pour le « manifeste » de la Pléiade, L’Olive, qui constitua le premier recueil de sonnets et de vers lyriques originaux en français ainsi que les Odes, en français de Ronsard.
« C’est une série de premiers moments, explique Mireille Huchon. On assiste à la première grammaire du français, les dictionnaires apparaissent et l’on voit combien la langue s’est enrichie. » Entre 1549 et 1552, naissent des recueils de poésie amoureuse sous la plume de Pontus de Tyard et Guillaume Des Autels, son cousin, tandis que suivent Les Amours de Baïf. « On assiste à la naissance de la rhétorique de Fouquelin en 1555, qui fonde la rhétorique française et l’élocution, la première tragédie à l’antique, La Cléopâtre captive, d’Etienne Jodelle, le scandale des Folastries et les premiers recueils de sonnets français. » Les poètes expérimentent les genres, la langue, les strophes et les vers, font du «néolatin», comme Du Bellay qui compose en latin et se traduit en français.
Est-ce fascinant alors que dans cette période bouillonnante s’est créé un groupe comme celui de la Pléiade. Mais, tempère tout de suite Hugues Pradier, historien médiéviste et directeur de la Pléiade, le mouvement fut rétrospectif. « Certes, Ronsard emploie une fois le terme de Pléiade mais ce sont des témoins dans la deuxième partie du siècle qui ont popularisé le nom. » Outre cette désignation tardive, la Pléiade a évolué et ne s’est pas limitée aux sept poètes. « Il y a eu des entrées et des sorties. » Quand Ronsard l’emploie en 1555, La Péruse est déjà mort. Quant à Des Autels, il a été effacé pour « des raisons politiques ». Peletier cède sa place à Dorat, puis réintègre la liste, Belleau la rejoint. Chose étonnante, on ne sait pas si tous ces poètes se connaissaient et s’ils se sont un jour vus. Ronsard et Du Bellay, se sont « probablement » rencontrés en 1547, mais pour le reste ?
Quoi qu’il en soit, la Pléiade n’a pas survécu à la fin du règne d’Henri II et à la mort de Du Bellay en 1560. Reste que cette décennie a grandement marqué le siècle et ceux qui ont suivi. Aussi, ce volume de la Pléiade est-il intéressant, car, construit en trois parties, d’abord une anthologie d’extraits de textes tirés de cinquante et un recueils, ensuite une section poétique réunissant les premiers arts poétiques français, il montre également les polémiques et témoignages qu’ont suscités ces « folâtres » de la Pléiade avec leur « fureur poétique ».
Les textes sont donnés sous leur forme originale prévient-on d’ailleurs en note en début d’ouvrage. On s’aperçoit alors des grands chamboulements de la langue seiziémiste, alors qu’un peu moins d’un siècle avant la naissance de l’Académie française, le français et son orthographe sont libres et sauvages. « C’est un moment clé de l’histoire de la langue et de sa codification, s’exclame Mireille Huchon. Les poètes ont joué un rôle majeur. » Le « i » servait aussi de « j » au XVIe siècle (ici, la voyelle et la consonne ont été distinguées). « La voyelle u et la consonne v étaient utilisées indifféremment, avec souvent v à l’initiale du mot et u à l’intérieur (pouuoir, vsage). » Là encore, pour une question de lisibilité, le u et le v ont été distingués.
Déjà au XVIe siècle, les débats sont passionnés autour de la langue et du statut de l’orthographe. Les graphies diffèrent. S’opposent ceux en faveur d’une disparition des lettres superflues, sans effet sur la prononciation et donc, en faveur d’une orthographe phonétique et ceux, partisans d’une orthographe d’usage. «C’est par rapport au grammairien lyonnais Louis Meigret, précurseur en matière de réforme de l’orthographe, que se positionnent d’une part Peletier, dans une controverse courtoise sur les modalités de la réforme et, d’autre part, Du Bellay, Ronsard et Des Autels.»
Du Bellay préfère s’en remettre au « commun, et antiq’ usaige ». Ses œuvres, écrit Mireille Huchon, « sont un excellent exemple d’une orthographe assez commune, laissée aux soins de l’imprimeur : nombreux y pour i (celuy, traduyre), z en final pour les pluriels (petiz vertus) ». Ronsard, de son côté, va plus loin que son ami et rival. Dans ses Odes de 1550 élimine le x final (heureus, dous), supprime les consonnes superflues (dois pour doigts), simplifie des consonnes doubles (fraper), et efface le «y» et écrit ainsi «lire» pour «lyre» et «Du Bellai». Toutefois, il alterne entre une écriture commune dans Amours, (1552) et une écriture modifiée comme celle de ses Odes, dans une autre édition des Amours un an plus tard, mais choisissant toujours au fond d’éviter « toute ortographie superflue ».
Près d’un quart de millénaire plus tard, la langue française suscite toujours autant de querelles. On l’a vu avec les rectifications orthographiques de 1990, que l’usage populaire a peu appliquées, la féminisation de noms de métier, faut-il écrire «auteur», «auteure», «autrice» et plus récemment avec l’écriture inclusive, que tentent d’imposer quelques fiévreux militants, mais qui n’a pour l’heure guère franchi la frontière de tracts politiques et de messages publicitaires.