On attendait Anatomie d’une chute, la palme d’or de Justine Triet mais c’est bien La Passion de Dodin Bouffant de Tran Anh Hung, prix de la mise en scène au Festival de Cannes cette année, qui a été choisi pour représenter la France aux Oscars. L’annonce en a été faite par le Centre national de la cinématographie. Le film sortira le 8 novembre en salles. Lors de sa présentation sur la Croisette, il ne nous avait guère convaincu.

Il n’existe en effet pas de recettes pour réussir un film trois étoiles qui évoque la cuisine. On peut y parvenir à la manière légère d’une Catherine Deneuve dans Peau d’âne, « préparez, préparez votre pâte…», ou à la façon magistrale d’une Stéphane Audran dans le Festin de Babette. En 1993 à Cannes, le Franco-Vietnamien Trân Anh Hung semblait l’avoir trouvée. Il avait remporté la caméra d’or, qui récompense un premier film toutes sections confondues. L’Odeur de la papaye verte régalait le public avec son histoire d’une jeune servante qui débarquait dans une famille de Saïgon et apprenait à la connaître en cuisinant pour ses membres. Trente ans plus tard, le décor a changé. La Bourgogne a remplacé Saïgon. La chère est moins digeste. On y prépare des vols-au-vent et des omelettes norvégiennes, la sauce bourguignotte et l’ortolan.

Dans la jolie cuisine de Dodin Bouffant comme tirée d’un livre de recettes des Éditions du Chêne (on pense à La Cuisine retrouvée de Proust), on fouette, on plume, on saisit, on bride, on réduit, on aromatise. Même le bouillon n’y échappe pas. Clarifié, il sera meilleur. Dodin Bouffant (Benoît Magimel et l’embonpoint qui sied au rôle) est à cheval sur les recettes. Amateur très averti, épicurien revendiqué, il aime convier à sa table ses amis bourgeois. Sa fidèle cuisinière Eugénie (Juliette Binoche) devance ses ordres. Elle sait tout faire à merveille. Il en pince pour elle (et pas que des écrevisses). Le soir, il la rejoint dans sa chambre. Elle a refusé sa main mais il va tenter de la convaincre en lui servant un repas merveilleux.

Pierre Gagnaire assure la direction gastronomique du film. Miam ! Ça sonne tout de suite mieux qu’un coordinateur d’intimité. Les plats ont le plus beau rôle. Ils sont magnifiques dans leurs atours de pâte feuilletée et de meringue dorée. Même la laitue braisée est photogénique. Dans ce décor à la Vermeer, Juliette Binoche évite le côté laitière. Elle règne sur sa cuisine avec une assurance tranquille, flanquée d’une fillette futée qui marche sur ses traces. Ça se corse quand Magimel apparaît. Il parle comme dans un exemplaire daté des débuts de Cuisine et vins de France. Les aphorismes fusent. Les platitudes aussi (« Je vais faire les quenelles »). Pourquoi lui avoir collé une bande de copains aussi balourds ? Ce sont les notables du coin. Ils se trémoussent comme des possédés sous leurs serviettes en gobant les ortolans. Les acteurs se contentent quant à eux de réciter un texte ampoulé, sans saveur, ni piquant. Maïté revient !

Tran Anh Hung n’a sans doute pas réussi à se détacher suffisamment du roman de Marcel Rouff, La Vie et la passion de Dodin-Bouffant, gourmet. Le fondateur de l’Académie des gastronomes l’a écrit en 1924. Et s’il a contribué à réhabiliter le pot-au-feu (The pot-au-feu est le titre du film en anglais) bien avant Camdeborde, son écriture colle aussi à l’époque, emphatique et bourrative. Le film en subit les effets. Il ravira sans doute les gastronomes amateurs, la France en compte plein. C’est le meilleur qu’on lui souhaite. Les cinéphiles, eux, resteront sur leur faim.

La Note du Figaro : 1/4

« La Passion de Dodin Bouffant ». Drame de Tran Anh Hung. Avec Juliette Binoche, Benoît Magimel, Emmanuel Salinger

Durée : 2h14. Sortie en salle le 8 novembre