Combien de mélodies Michel Legrand a-t-il composé ? Il lui a toujours été impossible de donner un chiffre exact. Macha Méril, sa dernière épouse, en est également incapable. Il a été tellement prolifique qu’après sa mort, voici exactement 5 ans, elle a retrouvé des cartons entiers de bandes et de partitions inédites. Des mélodies qui s’ajouteront un jour à celles qui sont devenues des succès internationaux. Madelen vous propose de découvrir l’une d’entre elles, Les moulins de mon cœur, qu’il a interprété un soir en direct, accompagné par le grand orchestre d’Armand Migiani. Il s’agit de la version française de la bande originale du film L’affaire Thomas Crown, récompensée, en 1969, par un premier Oscar avant un autre, trois ans plus tard, pour Un été 42.
Ces trophées, auxquels il faut ajouter des Césars et des Golden Globe, sont le fruit d’un travail quasi permanent, et d’une passion pour un métier qu’il s’est juré d’exercer dès l’âge de 5 ans. Les gênes y sont sans doute pour quelque chose : il est le fils et le neveu de deux chefs d’orchestre célèbres, Raymond Legrand et Jacques Helian. À 12 ans, il obtient un premier prix de solfège au Conservatoire National de Musique, à Paris. Son destin d’enfant prodige est alors tracé : il intégrera la Villa Medicis et obtiendra, à coup sûr, un Prix de Rome. Il refuse sans hésiter cette voie royale. Préférant le jazz au classique, il commence par gagner sa vie comme pianiste de bar, puis décroche des contrats pour accompagner en tournée, Henri Salvador, Zizi Jeanmaire et quelques autres. En parallèle, il monte un orchestre de jazz et se retrouve en 1957, à Leningrad, pour représenter la France au Festival mondial de la jeunesse et des étudiants pour la paix et l’amitié. Repéré par Maurice Chevalier, il devient son «directeur musical», à Paris et à New York. C’est ainsi qu’il enregistre I love Paris, un album où à des refrains célèbres qu’il a réorchestrés, il ajoute l’une de ses compositions, La valse des lilas. Le succès est immédiat. La presse américaine consacre des dizaines d’articles à celui qu’elle surnomme désormais «Big Mike.»
De retour en France, il travaille avec Jacques Demy sur un projet de film «tout en musique». Il consacre deux ans à l’écriture et aux arrangements des partitions de Les parapluies de Cherbourg. Aucun producteur n’y croit. C’est grâce à l’aide de quelques amis, à commencer par Francis Lemarque, que l’argent nécessaire au tournage se trouve enfin réuni. Le pari est gagné. Une Palme d’or à Cannes précède un succès mondial. Les Américains saluent le nouveau Gershwin, les Japonais tombent amoureux de Catherine Deneuve, les Australiens découvrent qu’il y a, quelque part en France, une ville qui s’appelle Cherbourg, et les Scandinaves comprennent que la guerre d’Algérie a pu séparer les amoureux. D’autres bandes originales, à commencer par Les demoiselles de Rochefort deviennent également des classiques.
Au lendemain des événements de mai 68, il décide de s’installer à New York, afin d’améliorer son anglais. Sa réussite et son aura ne l’empêchent pas de revenir en France, cinq ans plus tard. Il a rapidement compris que les Américains considéraient l’argent plus important que le talent, et ne l’a pas supporté. De retour à Paris, il choisit de consacrer désormais une partie de son temps à l’interprétation. Se jugeant trop timide pour avoir l’ambition de devenir une bête de scène, il accepte néanmoins de se produire à l’Olympia, en 1972, en première partie de Caterina Valente. Le début d’une carrière personnelle dont les temps forts vont être des duos avec Sarah Vaughan, Nana Mouskouri et Nicole Croisille. Il trouve enfin le temps de composer des comédies musicales : Le comte de Monte Cristo, créé à Bruxelles, se retrouve à l’affiche du Théâtre des Champs-Élysées. Le Passe muraille adapté de Marcel Aymé par Didier van Cauwelaert, triomphe à Marigny, avant d’être récompensé par trois Molières. À la fin de sa vie, il affirmait qu’il n’avait jamais eu le sentiment de véritablement travailler, mais plutôt de s’amuser. Un privilège aussi rare que son talent.