Georges Simenon est né voici 120 ans cette semaine. Le temps n’a pas effacé les centaines de romans qu’il a écrits, traduits en 47 langues et vendus à plus de 600 millions d’exemplaires. Le plus important, dans un coin de son cœur, le plus inattendu, est sans doute le dernier, celui qu’il a dicté au soir de sa vie, des Mémoires intimes de plus de 500 pages. À l’occasion de leur sortie, au mois de novembre 1981, il a accordé un entretien exceptionnel à Bernard Pivot.

Dans cet Apostrophes que Madelen vous propose de découvrir ou redécouvrir (vidéo ci-dessous), il apparaît sous un autre visage que celui qu’il s’est donné pendant un demi-siècle, en affirmant, entre autres, qu’il avait eu près de 10.000 femmes dans sa vie. Elles n’ont rien été à côté de Marie-Jo, sa fille. Après avoir tenté, en vain, de percer dans le cinéma et la chanson, elle a choisi en 1978 à 25 ans à peine, de mettre fin à ses jours.

Le romancier n’a jamais fait son deuil. Il l’avoue, avec pudeur devant Pivot, et dévoile ses dernières volontés : il veut être incinéré et que ses cendres soient dispersées à côté de celles sa fille, dans le jardin de «La maison rose», avenue des Figuiers, à Lausanne, où il a choisi de finir ses jours en compagnie de Teresa, sa dernière compagne, de 25 ans sa cadette. Au lendemain de sa disparition, le 4 septembre 1989, cette dernière va accomplir son vœu.

En 1981, Simenon affiche néanmoins une certaine sérénité dans la nouvelle vie qu’il s’est choisie, sept ans auparavant. En 1974, il a décidé de quitter sa propriété d’Epalinges, un bunker de 50 pièces, pour cette minuscule villa aux murs blancs, où Pivot a été l’un des rares à être reçu. C’est là que, pendant les quinze dernières années de sa longue existence, il a tenté de se rapprocher de ce qu’il appelait, «l’homme nu», qui l’a toujours fasciné et qu’il a cherché à appréhender.

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C’est dans un confortable fauteuil en cuir du salon, avec sa collection de pipes à portée de la main, qu’après avoir fait ses adieux au roman, il a dicté sur un petit magnétophone, 21 livres en forme d’autobiographie. Il a également régulièrement visionné et donné son feu vert, jusqu’au choix du titre, à des adaptations cinématographiques et télévisuelles de son œuvre, à commencer par les Maigret . Si, à la fin des années 60, il a remercié Jean Richard en lui offrant l’une des pipes du commissaire, il n’a jamais renié, bien au contraire, tous ceux qui ont incarné ce personnage, de Pierre Renoir, fils d’Auguste et frère de Jean à Bruno Cremer, en passant par Harry Baur, Albert Préjean, Jean Gabin et Michel Simon, le temps d’un court métrage.

Il a souvent avoué que son parcours se serait limité à des chroniques dans la presse si, en arrivant à Paris au début des années 20, il n’avait pas rencontré Colette. La future présidente de l’Académie Goncourt, est alors l’une des dirigeantes d’un quotidien à grand tirage, Le matin. Un après-midi, elle reçoit dans son bureau, le jeune homme qui signe alors ses articles sous le pseudonyme de Georges Sim. Elle les lit devant lui, à plusieurs reprises, avant de refuser de les publier. En le regardant droit dans les yeux, elle lui reproche leur délayage. «Soyez concis, mon petit Sim, écrivez des histoires simples, surtout pas de littérature». Elle ignore alors que ce simple conseil allait permettre à ce débutant timide d’entrer dans l’histoire.