Cette variante de l’inclusivité ne passera pas la Manche. L’éditeur français de Roald Dahl, Gallimard, a indiqué mardi qu’il comptait laisser intacts les textes des livres jeunesse de cet auteur britannique, malgré la réécriture en anglais à l’initiative des ayants droit. «Cette réécriture ne concerne que la Grande-Bretagne. Nous n’avons jamais modifié les textes de Roald Dahl, et à ce jour ce n’est pas en projet», a indiqué à l’AFP une porte-parole de Gallimard Jeunesse.

L’affaire avait été révélée vendredi par un quotidien britannique conservateur, le Daily Telegraph. Les ayants droit ont entrepris de lisser le langage de tous les romans pour enfants de l’auteur adoré de plusieurs générations. Les éditions Puffin (groupe Penguin Random House) publieront désormais un texte différent de l’original.

À lire aussiLes livres de Roald Dahl, auteur de Charlie et la chocolaterie, réécrits parce que jugés «offensants»

«Lors de nouveaux tirages de livres écrits il y a des années, il n’est pas inhabituel de passer en revue le langage utilisé et de mettre à jour d’autres éléments comme la couverture et la mise en page», a justifié le porte-parole de la société qui gère l’œuvre, Roald Dahl Story Company. Le nombre de termes modifiés est vaste, touchant à des questions considérées comme sensibles: race et ethnicité, genre, poids, apparence physique, santé mentale, violences, etc. Un personnage «énormément gros» est devenu «énorme». «Un truc fou» est devenu «un truc bizarre».

«C’est de la censure absurde», a écrit l’écrivain Salman Rushdie sur Twitter. «Si Dahl nous offense, ne le réimprimons pas», a lancé un autre auteur jeunesse à succès, Philip Pulmann, interrogé par la BBC. Le premier ministre britannique, Rishi Sunak, estime que les mots doivent être «préservés» plutôt que «retouchés» , a indiqué son porte-parole à la presse.

À lire aussiAux États-Unis, la censure littéraire fer de lance de la guerre idéologique

Roald Dahl (1916-1990) a commencé à être traduit en français dans les années 1960. Gallimard a publié James et la Grosse Pêche en 1966, et Charlie et la Chocolaterie en 1967, pour ensuite les rééditer régulièrement. Moins connu du grand public que dans le monde anglophone, il n’en reste pas moins un classique très apprécié en France, avec tous ses titres jeunesse disponibles dans la collection Folio.

«Un roman de Roald Dahl réécrit n’est plus un roman de Roald Dahl», a affirmé la traductrice et chroniqueuse Bérengère Viennot sur le média en ligne Slate. L’hebdomadaire culturel Télérama a pointé du doigt le «risque d’effacer au passage la bienveillante irrévérence» de l’auteur à l’humour décapant.

En France, la culture littéraire porte un jugement très sévère sur les altérations d’œuvres déjà publiées. Ce fut visible lors de l’abandon de titres de romans contenant le mot «nègre», qui suscita une certaine consternation. Dix petits nègres d’Agatha Christie en 2020 et Le Nègre du Narcisse de Joseph Conrad en 2022 ont subi un sort identique : ces titres de livres britanniques ont été supprimés au profit d’autres, choisis du vivant de l’auteur en vue de la publication aux États-Unis, où le terme était banni pour sa connotation raciste. On trouve aujourd’hui en librairie Ils étaient dix de Christie, et Les Enfants de la mer de Conrad.

À lire aussi«Nègre», «Schleu», «poufiasse»… Ces mots que le Scrabble proscrit au nom du politiquement correct

Aucune maison d’édition française n’a recours aux services d’un «sensitivity reader», un relecteur chargé spécifiquement de détecter les termes ou passages offensants dans les livres à paraître. Roald Dahl Story Company appartient aujourd’hui à un géant de la culture, la plateforme américaine Netflix, connu pour sa préférence pour les fictions dites «inclusives». Gallimard, quant à lui, est un éditeur connu pour ne pas avoir peur des polémiques.

Interrogée sur les appels au boycott visant une autre Britannique, la créatrice de Harry Potter J.K. Rowling, en raison de ses positions sur les femmes transsexuelles, la directrice de Gallimard Jeunesse, Hedwige Pasquet, avait déclaré en juin 2020: «En tant que maison d’édition, la liberté d’expression est notre credo. C’est notre priorité absolue».