Sous la dalle de La Défense, plus grand quartier d’affaires d’Europe, s’étend un réseau souterrain gigantesque. Cette «cathédrale engloutie» accueille à partir de vendredi 2 février des œuvres d’art contemporain.
Sous l’immense esplanade que dominent les tours de bureaux et où se déploient déjà près de 70 œuvres d’art à ciel ouvert, le collectif Interstices a rassemblé photographies, peintures, sculptures, installations et vidéos d’une vingtaine d’artistes dans le cadre de l’exposition Les Extatiques. L’immense galerie obscure de 5000 m2 n’est qu’une partie des espaces dits «résiduels» qui ont émergé lors de la conception de La Défense et de ses gratte-ciel imposants dans les années 1960.
C’est un volume qui «n’a pas de fonction initiale» et «se trouve enchâssé entre des volumes techniques, la voirie, les gares RATP», décrit Noellie Faustino, directrice du pôle événementiel de Paris La Défense, le gestionnaire du quartier d’affaires. Sur l’une des portes d’accès, un panneau indique une sortie de secours vers le tunnel de l’A14. Au loin, derrière les bruits étouffés des voitures et du RER A, on devine le grouillement incessant du poumon économique de la capitale.
Fermé au grand public, ce réseau de sous-sols a été réinvesti depuis quelques années par Paris La Défense qui souhaite exploiter leur caractère inédit. «C’est un peu comme les Journées du patrimoine, où on a accès à des lieux qui ne sont pas ouverts d’ordinaire», résume Noellie Faustino.
À lire aussiLa Défense, laboratoire d’idées pour utiliser et rentabiliser ses sous-sols
L’exposition met en avant des lieux abandonnés où la nature a repris ses droits. Des sites industriels «créés pour une ou deux générations, puis délaissés», explique Nicolas Obadia, cofondateur du collectif Interstices. L’objectif, poursuit-il, est d’interroger «les conditions d’occupation actuelles de la planète et la finitude des ressources» sans pour autant porter de regard moralisateur sur l’impact de l’activité humaine.
À près de 15 mètres sous terre, le visiteur arpente le temple de béton aux allures de hangar fantôme, dans une bise glaciale, seulement guidé par un filet de lumière venu de la surface. Les Extatiques s’ouvrent sur une série de photos grand format d’artistes spécialisés dans l’«urbex» -l’exploration de friches urbaines- qui donnent à voir carrières, mines ou encore usines à charbon désaffectées, dressant un parallèle saisissant avec le lieu même de l’exposition.
Le reste de la visite présente des œuvres d’une grande variété: images végétales réalisées à la rouille et imprimées sur du textile, fresque représentant un paysage urbain postapocalyptique, sculptures à base de matériaux de récupération, installations lumineuses. Dans Image latente, Alexandre Urbrain propose une expérience visuelle et sonore grâce à des projections en trois dimensions sur un écran d’eau, s’inspirant des techniques de l’agriculture intensive. La «cathédrale» de La Défense n’étant pas aux normes de sécurité pour l’accueil du public, elle ne peut accueillir que 19 personnes à la fois pour des visites guidées d’une heure trente, organisées par des membres du collectif Interstices, en présence de plusieurs artistes.
Le parcours immersif en sous-sol inclut une étape dans l’ancien atelier de Raymond Moretti: le sculpteur niçois y a entreposé au début des années 1970 une création monumentale de près de 20 tonnes, 30 mètres de long et 12 mètres de haut, composée de bois, plexiglas, verre et métal. Baptisée «Le Monstre» par l’écrivain Joseph Kessel, ami proche de l’artiste, la structure inachevée a continué d’être développée jusqu’à la mort de Moretti en 2005.
L’exposition Les Extatiques se tiendra jusqu’au 25 février.