Comme quoi une polémique peur propulser un roman. Le jury du Prix Médicis a couronné l’écrivain canadien, Kevin Lambert, 31 ans, pour son roman, Que notre joie demeure, publié aux éditions Le Nouvel Attila. Il a reçu 6 voix contre 4 pour Salma El Moumni pour Adieu Tanger (Grasset). C’est sans doute l’un des plus jeunes lauréats de ce grand prix d’automne. Il avait également reçu le Prix Décembre, et se trouvait sur la première sélection du Goncourt.

Le livre met en scène Céline Wachowski, une célèbre architecte qui a des contrats dans le monde entier ainsi que sa série sur Netflix. Mais une polémique apparaît sur son nouveau chantier. Accusée de favoriser la gentrification et de chasser les pauvres de Montréal, ses méthodes de travail sont fermement condamnées. Renvoyée de sa propre entreprise, elle commence une longue traversée du désert qui la mène à réfléchir sur la culpabilité.

Singularité de ce roman, il avait déjà été publié au Canada en septembre 2022 et réédité en France par le nouvel Attila pour cette rentrée littéraire.

On croyait que la polémique qui a suivi la parution du roman allait lui donner un coup d’arrêt. C’est tout le contraire qui s’est produit. Rappel des faits. En septembre, l’éditeur de Kevin Lambert révélait que son auteur avait eu recours aux services d’une «sensitivity reader» canado-haïtienne afin de vérifier à quel point un personnage d’origine haïtienne était crédible. Les sensitivity readers sont des sortes de conseillers de l’édition chargés de repérer et de corriger dans un manuscrit des propos sexistes, racistes ou homophobes qui auraient échappé à l’auteur. C’est une pratique courante en Amérique du Nord, mais peu usitée en France. Nicolas Mathieu, lauréat du prix Goncourt 2018, avait ainsi vivement réagi sur Instagram, appelant les écrivains à «bosser», «prendre leur risque», «sans tutelle, ni police» en visant Kevin Lambert, même si après coup, Nicolas Mathieu avait atténué ses propos. Dans une interview au Figaro , Kevin Lambert avait alors répondu: «Nicolas Mathieu a le droit de ne pas être d’accord avec le procédé. Pour ma part, je ne crois ni aux lois universelles ni aux absolus en art. Dans un roman, on travaille avec une matière sensible, en mouvement, pleine d’ambivalences, on s’intéresse au particulier plus qu’au général. On peut bénéficier d’une lecture spécialisée. […] Après cette publication, on s’est parlé par Instagram avec Nicolas Mathieu. Je crois qu’on respecte chacun la démarche de l’autre.» La polémique n’a donc pas empêché Kevin Lambert d’être multiprimé.

Le Médicis de l’essai est allé à Laure Murat pour Proust, roman familial (Robert Laffont), titre qui figurait sur la liste du Goncourt. Le Prix Médicis du roman étranger : Han Kang, Impossibles adieux, traduit du coréen (Corée du Sud) par Kyungran Choi et Pierre Bisiou (Grasset)

La semaine prochaine, ce sera autour de l’Interallié et du Goncourt des lycéens de désigner leur lauréat. Attention : Kevin Lambert est toujours en piste pour le Goncourt des lycéens…