Il n’est pas usuel, pour un musée public, de s’exprimer sur une actualité brûlante. À deux reprises, pourtant, le Musée d’art et d’histoire du judaïsme (MAHJ) de Paris a publié un communiqué concernant la famille de la sculptrice Chana Orloff (1888-1968), famille victime du massacre commis par le Hamas en Israël, le 7 octobre. «À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle, juge Paul Salmona, directeur de l’institution. Nous ne pouvions pas être en reste avec ce qui s’est passé en Israël, d’autant que nous avons des liens profonds avec les petits-enfants de Chana Orloff.»
Le 7 octobre, trois membres de la famille de Chana, vivant au kibboutz Beeri dans le sud d’Israël, ont été tués par les terroristes du Hamas : Avshalom Haran, Evyatar et Lilach Lea Kipnis. Sept autres membres ont été pris en otage. Après 50 jours de captivité, six d’entre deux viennent d’être libérés, ce dont se réjouit le Musée dans un communiqué.
Au-delà de la solidarité exprimée, la position du musée crée un continuum entre les pogroms ukrainiens du XIXe siècle et ceux d’aujourd’hui. Raphaël et Rachel Orloff fuient l’Ukraine en 1905, leur maison ayant été saccagée. Avec leurs huit enfants (dont Hana qui deviendra Chana, la sculptrice), ils prennent la direction de la Palestine ottomane. À l’âge de 22 ans, la jeune femme choisit de s’installer à Paris, où elle devient une artiste connue et reconnue de «l’École de Paris». En Israël, son frère, Zvi, fonde quant à lui des centres sportifs.
Chana fait notamment construire un atelier au 7 bis, villa Seurat, dans lequel elle vit et qui abrite ses sculptures. Mais à l’été 1942, elle est prévenue qu’une rafle visant les Juifs est imminente et que son fils et elle figurent sur les listes. Ils s’enfuient précipitamment de Paris et gagnent la Suisse clandestinement.
Quand Chana Orloff revient après la guerre, les 140 sculptures qu’elle avait été obligée de laisser derrière eux ont été volées. La même année, sa nièce et le mari de cette dernière fondent le kibboutz Beeri, qui va être le théâtre de l’un des massacres du 7 octobre. C’est d’ailleurs là que Chana qu’elle passera ses derniers jours avant son décès le 18 décembre 1968.
«Depuis de longues années, nous sommes en lien avec les petits enfants de la sculptrice, Ariane Tamir et Éric Justman», témoigne Paul Salmona, directeur du MAHJ. Ceux-ci se sont donné pour objectif de faire vivre l’œuvre et l’atelier de leur grand-mère. Mais aussi de récupérer le fond spolié. Après 15 ans de procédures franco-américaines, ils se sont vus restituer une sculpture en bois, figurant leur père enfant. Elle est exposée au Musée d’art et du Judaïsme, à Paris, depuis dix jours. Elle raconte une infime partie de la grande tragédie juive, qui ne cesse de se poursuivre.