Emmanuel Macron a décoré lundi à Tirana au rang de grand officier de la Légion d’honneur albanais Ismaïl Kadaré, saluant son œuvre qui «s’est renforcée dans l’adversité» et «galvanisée contre l’interdit» sous la tyrannie communiste d’Enver Hoxha, une des pires dictatures du XXe siècle.
«Poète des Balkans», «héraut de la liberté», le romancier de 87 ans, alternant grotesque et épique, a exploré les mythes et l’histoire de son pays pour disséquer les mécanismes d’un mal universel, le totalitarisme. Pour le chef de l’Etat français, venu en Albanie pour une visite bilatérale de deux jours, il est «de ceux donc chaque mot était arraché au silence, de ceux dont chaque ligne risquait d’alourdir leur procès-verbal, de ceux dont chaque roman menaçait d’être l’épitaphe de leur carrière».
«Vous avez vécu et créé en homme libre dans un pays qui ne l’était pas, l’Albanie d’après-guerre, plus soviétique que les soviets, plus stalinienne que Staline», a lancé le président lors d’un bref discours longuement applaudi, avant un dîner officiel offert par le premier ministre albanais Edi Rama. Emmanuel Macron est revenu sur la manière dont l’écrivain a su se jouer des codes imposés de la dictature pour rejoindre «les maquisards de la liberté de style», «résister, déjouer la censure» par le «contournement, la métaphore, le parallèle», via des «fables à double sens et double fond».
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Son immense œuvre, riche d’une cinquantaine d’ouvrages -romans, essais, nouvelles, poèmes, théâtre- traduits dans 40 langues, lui a valu d’être pressenti plus d’une fois pour le Nobel de littérature. Protégé par sa renommée quand d’autres ont été condamnés aux travaux forcés, voire exécutés, Kadaré a été critiqué pour ce statut de «dissident officiel». Mais il a toujours nié toute relation particulière avec la dictature, pour qui, selon des documents récemment découverts, l’écrivain «n’était qu’un corbeau de malheur». Qualifié d’«ennemi du peuple», il aurait pu «quitter le navire en feu», a relevé le président français. «Mais vous refusez d’abandonner un peuple aux incendiaires de sa liberté», a-t-il dit devant Ismaïl Kadaré.
Jusqu’à l’exil en France, en 1990. «Vous vous tournez vers le pays qui avait été le premier à publier vos livres.» «A Tirana votre départ a entrainé les premières protestations étudiantes depuis plus de 40 ans», «vous avez participé de ce grand éveil des peuples qui a soulevé le rideau de fer», a-t-il ajouté.