Crooner dans l’âme il aimait avant tout chanter, la Passionnata et les standards du jazz. Puis il a joué la tragicomédie en se changeant, lui l’ancien de la Légion étrangère, en dragueur de plage, en veule consternant, et pour faire bonne mesure en salaud intégral. Guy Marchand est mort à 86 ans. Il «s’est éteint paisiblement (…) à l’hôpital de Cavaillon», ont indiqué ses enfants Jules et Ludivine dans un communiqué. La musique, le cinéma et le grand public se souviendront d’un saltimbanque aux multiples dons qui aura su pendant un demi-siècle donner de l’épaisseur à la légèreté.

Pour ce baladin né tout a commencé le 22 mai 1937 dans le XIXe arrondissement de Paris. C’est là à Belleville, encore un village à l’époque comme il aimait à le rappeler, qu’il traîne ses guêtres avec les petits voyous du quartier. Son père, ferrailleur de son état et accessoirement fou de jazz à ses heures perdues, lui donne une clarinette à l’âge de neuf ans. Pour le petit Guy, c’est un déclic. Dans un placard, – pour ne pas gêner les voisins -, sans la moindre notion de solfège, il s’escrime à imiter Sidney Bechet. À l’adolescence, il découvre aussi qu’il possède une voix intéressante. «Pour se faire des sous» il chante dans les bals populaires, puis au Tabou et au Riverside, les boîtes de Saint-Germain-des-Prés.

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Vers 18 ans il est titillé par l’envie de devenir un musicien professionnel. Mais les obligations militaires le rattrapent. Pour ne pas partir directement en Algérie, il décide de faire l’école des officiers de réserve. Il passe aussi un brevet de parachutiste puis se retrouve affecté, finalement, dans un régiment de la Légion étrangère. Les souvenirs des atrocités de la guerre d’Algérie, qui s’ajouteront à ceux des femmes tondues à la libération de Paris, le marqueront à jamais.

Au milieu des années 1960, en «dépression post-militaire» comme il l’avouera lui-même plus tard, la chance frappe à sa porte. Dalida le remarque et l’aide en l’hébergeant. Sous son égide, il écrit le pastiche d’un flamenco douloureux, La Passionnata. Eddie Barclay, le grand imprésario de l’époque lui signe aussitôt un contrat. Guy Marchand s’est découvert un premier emploi, celui d’un crooner un tantinet ringard, mais aussi bougrement doué.

Après La Passionnata, beau succès d’estime, Marchand végète un peu. Le cinéma vient le sauver : Robert Enrico qui l’embauche dans Boulevard du rhum (1971). Il lui demande de camper un latin lover dingue de Brigitte Bardot, la vedette de son film. Dans cet habit ridicule de dragueur en pâmoison devant B.B. il est parfait. Le chanteur est devenu un acteur qui pendant une bonne vingtaine d’années a la chance de tenir dans ses bras les plus importantes comédiennes de sa génération. Sous la direction de François Truffaut (Une belle fille comme moi, 1972), il rencontre Bernadette Lafont. Dans Cousin, Cousine de Jean-Charles Tacchella en 1975, il finit par serrer Marie-France Pisier dans ses bras. En 1980, Maurice Pialat lui propose de jouer le cocu dans Loulou. Sa femme se nomme Isabelle Huppert et l’amant de celle-ci, Gérard Depardieu.

Mari trompé, play-boy inconsistant dans L’Hôtel de la plage (1978), gigolo amuseur qu’on jette comme une vieille chaussette, chanteur roucoulant, au début des années 1980, Guy Marchand trouve enfin sa composition favorite: le salaud polymorphe. Dans Garde à vue, de Claude Miller, il passe à tabac Michel Serrault durant l’absence d’un commissaire incarné par Lino Ventura. Cette lâcheté lui vaut le César du meilleur second rôle en 1982. Il récidive sous la direction de Bertrand Tavernier dans Coup de torchon, cette fois dans le costume d’un chef de la police d’une colonie française en Afrique. Plus cynique que nature, il arrive à convaincre un Philippe Noiret, qui joue un flic trop débonnaire à ses yeux, de l’efficacité de ses méthodes expéditives.

Reconnu en tant que comédien qui ne rechigne jamais à assumer les pires personnages, notre hidalgo de Belleville ne délaisse pas pour autant sa vraie Passionnata, la chanson. En 1982, il écrit son plus grand tube, Destinée, sur une mélodie de Vladimir Cosma. Cette pochade à la guimauve pour Les Sous-Doués en vacances de Claude Zidi fait un triomphe. Par un étonnant paradoxe, Marchand vouera plus tard aux gémonies ce slow langoureux en arguant de l’indigence des paroles qu’il avait pourtant signées.

Le jazz, le cinéma, la chanson, le tango, le polo, la boxe aussi, il fallait que ce Parigot pur sucre se frotte un jour à la télévision. En 1991, on lui confie la charge d’incarner Nestor Burma. Le personnage de détective créé par Léo Malet lui va comme un gant. Comme lui, il est futé et il passe partout. Il navigue dans ses enquêtes sans jamais se prendre au sérieux. Ce moment béni de la carrière de l’acteur durera plus de vingt ans, jusqu’en 2003.

Après le temps du tango puis des salauds viendra l’ère des tempes grises. Guy Marchand campera à partir du XXIe siècle des pères et des grands-pères souvent ronchons parfois plus tendres. De 2002 à 2023, il sera à l’affiche de plus vingt films réalisés par des cinéastes qui comprennent l’air du temps comme Tonie Marshall, Jean-Pierre Mocky et Bertrand Blier. Il écrira sa biographie et quelques romans bien tournés inspirés de ses vies, de ses films et de ses chansons. Cet homme qui prétendait se régaler à jouer les cons, s’était inventé un joli surnom, Le guignol des Buttes-Chaumont. C’est vrai, Guy Marchand aura été toute sa vie un sacré beau guignol mais avec un cœur gros comme ça.