Une façade élégante, de la symétrie, un jardin ordonnancé, tout en perspectives, alignant six carrés de verdure et une majestueuse allée centrale… En arrivant au château du Coscro (Lignol, Morbihan), on ne peut qu’être saisi par la sérénité des lieux. C’est un peu comme si le temps s’était arrêté pour toujours dans ce joli coin de la Bretagne profonde, à une quarantaine de minutes de Lorient ; comme si rien ne pouvait jamais venir compromettre la subtile harmonie de cette paisible résidence de campagne de style classique construite, sur les bases d’un manoir antérieur, durant la première moitié du XVIIe siècle.

On peine à croire ses propriétaires actuels lorsqu’ils vous expliquent qu’un champ de maïs et de patates s’étendait, il y a vingt ans, en lieu et place du jardin à la française d’aujourd’hui ; ou qu’il pleuvait dans la maison et que l’on ne pouvait envisager d’y dormir qu’avec un grand parapluie disposé au-dessus de son lit ! Lorsqu’ils ont acquis le Coscro, en 1984, Daniel et Sylvie Piquet, à l’époque pharmaciens en région parisienne, avaient 35 ans. L’âge idéal pour relever les défis impossibles.

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«Transformé en ferme agricole de 1945 à 1980, le domaine tombait en décrépitude ! Le château était en si mauvais état que l’agriculteur qui l’habitait avait dû trouver refuge dans les communs, à partir de 1977, raconte Daniel Piquet. Le salon avait été transformé en poulailler , un tas de fumier reposait au pied des grilles de la cour d’honneur, plus loin, une fosse à purin avait été creusée… On ne savait pas vraiment par quel bout commencer !» Originaire de Guémené-sur-Scorff, un village tout proche, Daniel Piquet ne pouvait se résoudre à baisser les bras : pas question de laisser se dégrader plus longtemps cette bâtisse qui avait inspiré ses rêves d’enfant, alors qu’il venait passer ses vacances dans la région, chez ses grands-parents.

Certes, l’ensemble des bâtiments bénéficiait d’une protection au titre des Monuments historiques depuis 1973, grâce aux efforts déployés par la famille La Bédoyère, qui avait acheté le Coscro en 1967 dans l’idée d’y créer un élevage de chevaux. Mais, en 1976, le château était revendu à un propriétaire indélicat, dentiste à Rennes, loin d’avoir les bonnes intentions de ses prédécesseurs : il entreprit de céder le domaine en pièces détachées ! La chapelle, certains bâtiments composant les communs et la partie la plus ancienne (datant du XVe siècle) de la bâtisse principale furent démontés et vendus pierre par pierre. Il s’en est fallu de peu que le splendide escalier à cage ouverte du Coscro, sur le modèle de ceux mis à la mode par Catherine de Médicis, ne finisse comme décor dans une célèbre discothèque de Carnac !

Durant les premières années, les Piquet se sont consacrés aux urgences : la restauration du couvert, du bâti et des intérieurs. Les boiseries XVIIIe ont été sauvées, un superbe parquet XVIIe a été installé dans les pièces de réception, restaurées avec goût (il faut saluer la qualité des faux marbres du peintre Philbert Hémery, dont la famille excelle de père en fils dans la restauration historique), des chambres ont été aménagées pour les trois enfants du couple, puis leurs neuf petits-enfants. Parallèlement, un long travail d’enquête a commencé.

«Nous savions finalement assez peu de choses du Coscro, les plus anciens documents en notre possession datant de 1890, confie Daniel Piquet. Il nous a fallu remonter le chemin de son histoire, en explorant les archives de Vannes où je me suis rendu de très nombreuses fois avec l’ancien militaire que nous avions recruté comme gardien et qui nous a accompagnés, durant douze ans, dans nos recherches.»

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Celles-ci furent fructueuses. Les Piquet ont découvert que la première citation historique du Coscro remontait à 1394, alors que le domaine appartenait à un certain Robin de Guernapin. Le château passera par la suite aux mains de plusieurs familles (Séguelien, Le Gouvello…) avant d’échoir, au XVIe siècle, à Charles (II) de Lantivy. C’est l’un des descendants de ce noble personnage, Louis (III) de Lantivy, qui entreprendra la restructuration spectaculaire du domaine au XVIIe siècle, donnant au Coscro l’apparence qu’on lui connaît aujourd’hui.

«Après avoir été envoyé à Paris pour étudier, Louis de Lantivy avait été pourvu, à 24 ans, d’un office au Parlement de Bretagne , raconte Sylvie Piquet. Cet aristocrate de province avait des ambitions sociales et le désir d’afficher son pouvoir d’une manière visible.» D’où les profonds changements qu’il entreprendra au Coscro, dont l’architecture est profondément revue, même si des fragments médiévaux ont été incorporés dans les élégants bâtiments érigés au XVIIe. Ces derniers en imposaient au visiteur arrivant par la cour d’honneur – c’était l’effet voulu ! – même si le château était, et reste encore aujourd’hui, de taille modeste, à l’image de la fortune de Louis de Lantivy.

À l’occasion de leurs explorations dans les archives de Vannes, les Piquet sont tombés sur plusieurs actes notariés concernant le Coscro, dont un daté de 1663, particulièrement précieux puisqu’il décrivait (en vieux français, qu’il a fallu traduire) la propriété dans le détail… abstraction faite de la chapelle, de l’orangerie et du vieux manoir médiéval dépecés et vendus en 1976. Autre surprise : ce document décrivait avec précision un «grand jardin» avec sa «grande allée centrale», ses carrés de verdure et ses deux pavillons l’encadrant au levant et au couchant, «reliés par une douve». Le document précisait même que le pavillon du couchant était habité par «le jardinier».

Or, en fait de jardin et de douve, il n’y avait strictement plus rien au Coscro au tournant des années 2000, sinon un champ agricole à l’abandon, envahi au printemps par les herbes hautes ! Seules de grandes goulottes d’évacuation d’eau, sculptées dans le fond du parc, laissaient imaginer que le terrain avait peut-être eu une autre destination par le passé.

«Nous avons continué à éplucher les archives et sommes tombés sur d’autres actes, datant du XVIIIe siècle ; à chaque fois, on retombait sur la mention de la douve et du jardin», reprend Daniel Piquet. Tous ces documents ont été transmis au conservateur régional des Monuments historiques, qui décida aussitôt de soutenir une demande d’extension de la protection dont bénéficiait le Coscro au titre des Monuments historiques sur son environnement. Celle-ci a été accordée en 1997, sur la seule foi des archives. L’administration a su se montrer visionnaire, sentant que les Piquet étaient prêts à se lancer dans une nouvelle aventure : la restauration complète du jardin classique du Coscro !

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«En 1999, je n’ai pas pu m’empêcher de commencer à gratter précautionneusement le sol avec ma tractopelle, à l’endroit où les archives décrivaient la présence d’une douve, raconte Daniel Piquet. Et là, après quelques coups donnés dans le sol avec le plus petit godet de l’engin, je suis tombé sur un mur maçonné, enfoui sous 70 centimètres de terre ; et quelques mètres plus loin, sur le deuxième mur. Bingo, c’était la douve ! Un peu plus loin, dans l’axe de la grille d’entrée, j’ai même identifié le pont en pierre permettant le passage vers la cour d’honneur.»

Dès le surlendemain, le conservateur régional des Monuments historiques était sur place ; et un mois plus tard, la responsable des jardins historiques du ministère de la Culture s’invitait à son tour au Coscro. C’est elle qui a conseillé aux Piquet de rechercher le plan du jardin initial non pas dans d’hypothétiques gravures qu’ils ne trouveraient pas forcément, mais dans son sous-sol.

Une étude archéologique et historique a été lancée, pour faire parler la terre. Une entreprise colossale menée en 2002 et 2003, sous la Direction régionale de l’archéologie et de la conservation régionales des Monuments historiques, par Anne Allimant-Verdillon, historienne et archéologue spécialisée dans les jardins historiques, par ailleurs ancienne pensionnaire de la villa Médicis ! Le sol a été décapé aux endroits stratégiques, plus de 8000 tonnes de terre ont été déblayées, d’innombrables sondages ont été réalisés pour identifier les modifications successives du sous-sol et permettre la réalisation du plan archéologique du jardin, une étude stratigraphique a été menée, des photos ont été prises du ciel, comparées, superposées à celles de l’IGN, plus anciennes…

«Les bases du tracé originel du jardin ont fini par apparaître avec une étonnante précision, reprend Daniel Piquet. Les recherches ont révélé un lieu complexe faisant appel à des savoirs et des techniques multiples. La question de l’eau avait été pensée de façon ingénieuse, avec une pente et une déclivité idéales pour réduire l’humidité du sol.»

Autre trouvaille : le plan du jardin du Coscro, attribué à Pierre Hureau, collaborateur de François Mansart, présentait une étrange similitude avec celui du jardin des Tuileries, édifié à Paris en 1564. Les deux plans ont été superposés, après avoir été mis à la même échelle. La ressemblance est frappante, même si les axes de composition sont inversés. Louis de Lantivy aurait-il rapporté de Paris une gravure du jardin des Tuileries et demandé à son architecte de s’en inspirer ?

Avec l’aide de deux spécialistes des jardins historiques, Marie-Eugène Heraud et Hélène Sirieys, les Piquet ont entrepris de redonner vie au jardin du Coscro, fidèle aujourd’hui, au centimètre près, à ce qu’il était au XVIIe siècle. Coût de l’opération : plus d’un million d’euros, dont 40 % financés de leur poche, le reste par la région et le département. Et ce n’est pas fini : «Une décision récente de la Safer, dont il faut saluer l’intelligence, nous autorise à racheter 9 hectares de terrains agricoles, hier propriété du Coscro, confie Daniel Piquet. Cela va nous permettre de reconstituer la cohérence historique du domaine et de dégager la perspective !»