De sept ans plus âgé, Jean-Gabriel Mitterrand, célèbre galeriste international installé dans un hôtel particulier du Marais, se souvient de ce frère qui portait en lui ce mélange d’envie de faire très grand et de toujours rester modeste. La culture pour chacun, envers de la culture pour tous, fut son slogan au ministère de la Culture. « Il a fait le job avec passion. Il avait une haute idée de sa fonction mais pas de lui-même. Et n’a jamais transigé sur la position que devait adopter le ministère. Il était habité par un souci d’économie, en bon gardien des deniers de l’État malgré les sollicitations, tout en aidant les secteurs en difficulté, comme le Théâtre des Bouffes du Nord, qu’il adorait. »
Aussi étonnant que cela puisse paraître, Frédéric Mitterrand s’est éteint sans la moindre économie. Il venait de terminer, en dictant le dernier chapitre, à bout de forces, de son livre à paraître prochainement chez Laffont, l’histoire d’un grand-oncle mort à 25 ans à la guerre de 1914. Frédéric avait parcouru les Balkans pour tenter de retrouver sa tombe, mais en vain. Côté art, Frédéric Mitterrand avait une grande admiration pour les hauts fonctionnaires de la culture et était très proche des grands patrons de musées : Henri Loyrette, ancien président-directeur du Musée du Louvre, Laurence des Cars, qui occupe le même poste depuis 2021, ou Catherine Pégard, qui vient de quitter le Château de Versailles. Mais dans son protocole, Frédéric Mitterrand s’arrangeait toujours pour s’échapper en douce dans de plus petits musées de province, comme le Musée Napoléon à Ajaccio.
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Sa joie était d’honorer les artistes, de leur remettre des décorations, d’entrer en communion avec les talents. De par sa position qui lui a donné accès à tout, il a pu combler sa curiosité insatiable. « Il avait un regard incisif, mordant, sur l’art mais un goût plutôt classique. À l’art contemporain émergent, il préférait les modernes, Takis, Niki de Saint Phalle – devenue son amie proche – ou le couple des Lalanne, que je lui ai présenté dès leurs débuts, explique Jean-Gabriel. Frédéric était réglo, il ne m’a jamais donné de passe-droit même si j’avais les oreilles du ministère, notamment pour mon projet Takis au Palais-Royal. »
À l’inverse de beaucoup de ses prédécesseurs, il était très proche du tissu culturel français. Ne manquait pas d’aller sur le terrain, visiter les galeries, arpenter les biennales, comme celle d’art contemporain à Venise, en 2010, la même année que l’Exposition universelle de Shanghaï, où il accompagna Jean-Gabriel.
Côté privé, Frédéric Mitterrand avait beaucoup d’amis dans des milieux différents mais il compartimentait. « Son caractère était aussi romanesque que strict sur le plan moral, n’admettant ni le mensonge des politiques ni leurs erreurs. Il ne manquait pas de les engueuler dans ses émissions, à l’époque très populaires. Tout le monde tremblait », se souvient Jean-Gabriel. Pour définir ce frère de sang qui a écrit un livre sur son Covid foudroyant, ce dernier retiendra l’affectif blessé de par son enfance, une nounou trop rude sans doute, mais dont l’intelligence a dominé la faille. « Paradoxal, il avait ce désir de se faire pardonner et une volonté dominante d’exister qui lui faisait montrer ses ambitions », raconte Jean-Gabriel.
Ce dernier garde en souvenir une soirée à l’Élysée pour la projection du film Lettres d’amour en Somalie, sorti en 1982. À la question avec une pointe d’ironie du président : « Qui en est l’auteur ? », Frédéric avait répondu avec un ton narquois : « C’est moi, mon oncle. » De quoi l’agacer, mais sans jamais rien laisser paraître. Le côté François Mitterrand de Frédéric était d’être tout aussi moqueur.