La disparition soudaine, vendredi à 65 ans, de Tai-Luc, bouquiniste et charismatique meneur du groupe de rock underground français La Souris déglinguée, a été annoncée, dimanche matin, sur la page Meta (ex-Facebook) du critique de rock Philippe Manœuvre, confirmant « une affreuse nouvelle : le décès de ce soldat du punk qui a rejoint La Cité des Anges ».

Tai-Luc, de son nom complet Nguyen Tan Tai-Luc, est né le 10 août 1958, à Suresnes, d’un père vietnamien et d’une mère française. De 1976, année de création du groupe au lycée Hoche de Versailles, jusqu’à 2015, avec Les Toits du Palace, ultime album qui renouait avec la rage rock’n’roll de ses débuts, La Souris déglinguée, souvent abrégée en LSD, a fait figure de vétéran d’un rock français largement ignoré des médias mais bénéficiant du soutien sans faille d’un noyau dur de supporteurs réunis au sein du Raya Fan Club.

En une vingtaine d’albums, la formation « lysergique » aura contribué à faire émerger un style original, empruntant aussi bien au rock’n’roll et au punk qu’au reggae, au rap et à la musique extrême-orientale. Toute une génération s’y reconnaîtra. En 2007, il avait enregistré un très bel album solo, Jukeboxe. Quinze chansons puisées dans son histoire familiale, aux côtés de pépites du répertoire français signées Pierre Mac Orlan ou Charles Aznavour, ainsi que des adaptations en français de standards américains.

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Pour l’anniversaire des 35 ans de la formation, le 9 mai 2015, La Souris déglinguée avait investi la scène de l’Olympia pour la deuxième fois de sa carrière, entourée des grands noms de la scène underground hexagonale. La première fois, quelques années plus tôt, c’étaient les débutants du groupe NTM qui avait ouvert le bal dans la salle mythique.

Depuis 1996, en parallèle avec sa carrière artistique, Tai-Luc était devenu enseignant au département Asie du Sud-Est et Pacifique à l’Institut des langues orientales (Inalco), chargé du cours de diachronie et synchronie taï-kadaï et d’initiation au tham-pali du Laos. Il avait soutenu en 2000 sa thèse de doctorat consacrée à la langue lü du Sip Song Panna.

Depuis 2018, Tai-Luc avait mis de côté sa carrière musicale et s’était installé en tant que bouquiniste à la hauteur du 2, quai de Gesvres, à quelques encâblures de l’hôtel de ville de Paris. Une profession qui lui permettait de concilier son goût pour le contact humain avec sa passion pour l’Asie et l’amour des livres : « J’en ai toujours lu et acheté beaucoup. Aujourd’hui, je les vends. »

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Les boîtes du rockeur présentaient une sélection de fanzines graphiques et quelques disques vinyles rares. Une boîte était consacrée au monde celtique, hommage à son héritage maternel. Mais la plus grande partie de sa marchandise concernait l’Asie : revues, essais, journaux ou bandes dessinées vietnamiennes ou cambodgiennes d’avant 1975 ou ouvrages évoquant l’Indochine.

D’après l’un de ses proches, Jean-François « Camboui », batteur de La Souris, il avait entrepris depuis quelques jours de remonter dans son appartement parisien tout un stock de livres, en vue du déménagement des bouquinistes en juin 2024, programmé par la préfecture de police, dans le cadre de la sécurisation de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. Un effort pénible et dangereux qui s’est probablement révélé fatal pour Tai-Luc, gravement asthmatique depuis plusieurs années.

Dans la soirée, glaciale, du 17 novembre, avec une petite foule de bouquinistes et leurs partisans, Tai-Luc était au niveau du 11, quai de la Tournelle pour manifester son hostilité face à une opération de démontage et de remontage de trois boîtes de bouquiniste menée à grands frais par la Ville de Paris, à titre de test de faisabilité.