Quatre ouvrages contenant de l’arsenic, une substance cancérigène, ont été retirés des étagères de la Bibliothèque nationale de France (BnF) rapporte le journal Le Parisien . Après la mise en quarantaine de plus de 15.000 ouvrages en Allemagne en mars, plusieurs bibliothèques françaises se sont penchées sur le sujet.

Les livres potentiellement dangereux pour la santé ont été identifiés grâce à la présence de vert sur leur couverture et leur tranche. Appelé «vert de Paris» ou «vert de Schweinfurt», ce pigment était utilisé au XIXe siècle, pour produire une couleur émeraude. La toxicité de l’arsenic était connue à l’époque, mais sa couleur populaire et peu coûteuse à produire. Commercialisé en 1814 par la Wilhelm Dye and White Lead Company de Schweinfurt, en Allemagne, il contenait de l’acéto-arsénite de cuivre. Selon le magazine GEO , ce complexe très toxique était également administré à l’époque dans les égouts parisiens pour tuer les rats. L’utilisation du pigment a ensuite été arrêtée à la fin du siècle en raison de sa toxicité, mais la plupart des livres qui en contiennent n’ont pas été détruits et ont depuis circulé dans le monde entier. En janvier 2024, le Guinness World Record a même enregistré le livre le plus empoisonné au monde. Il s’agit du livre d’un médecin américain intitulé, Shadows from the Walls of Death. Le livre contient 36 grammes d’arsenic.

La BnF avait d’abord retiré 27 ouvrages de sa collection. Les analyses ont confirmé la présence de cuivre et d’arsenic sur quatre d’entre eux. Il s’agit des livres : Rouman anthology de Henry Stanley (1856), du Book of the royal horticultural society d’Andrew Murray (1863) et de deux exemplaires de Ballads of Ireland d’Edward Hayes (1855). La BnF a assuré que les livres étaient «très peu demandés au cours des dix dernières années».

Interrogé par Le Parisien , le directeur du laboratoire de toxicologie du CHU de Garches (Hauts-de-Seine), Jean-Claude Alvarès, se veut rassurant. Celui qui manipule aujourd’hui un tel ouvrage «ne va pas mourir». Il existe tout de même des risques d’étourdissements, des crampes d’estomac ou de diarrhées dès lors qu’il y a «un contact prolongé, régulier ou répété» avec le livre. La toxicité de l’arsenic ne se dégrade pas avec le temps.

En 2019, deux restauratrices américaines de la bibliothèque de l’université du Delaware ont lancé le Poison Book Projet, qui vise à cataloguer les livres contaminés. Près de 270 références ont depuis été répertoriées, mais cette liste pourrait considérablement s’agrandir. Parmi ces livres, quinze ont été publiés en France : Histoire de la Découverte et de la Conquête de l’Amérique de Joachim Heinrich (1845), le tome quatre et cinq des Œuvres de Lavoisier (1868 et 1892), Souvenir d’un voyage de Evariste Régis (1857).

Le 7 avril, le syndicat des professionnels de l’enseignement, le SNPTES UNSA, avait envoyé un courrier au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche pour lui demander «d’intervenir auprès des bibliothèques universitaires et centres de documentation rattachés au ministère», afin d’engager «une action d’inventaire et de mise en quarantaine».

À la bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne à Paris, l’inventaire a déjà commencé. Pour le moment, 70 ouvrages, susceptible de contenir de l’arsenic, ont été étiquetés et recouverts avec un matériau de conservation pour qu’ils ne soient pas manipulés à mains nues. L’université de Strasbourg pourrait elle aussi être concernée. Selon Nathalie Frayon, secrétaire générale du syndicat et bibliothécaire à l’université de Strasbourg, il faut prendre toutes les précautions possibles. Dans le cas d’un livre potentiellement toxique, «nous demandons des opérations de numérisation d’urgence de manière à permettre la continuité de la mise à disposition de ces ouvrages», explique-t-elle.