Homme de l’ombre, le compositeur et pianiste de jazz Alain Goraguer, qui a été l’arrangeur musical de plusieurs grands de la chanson française, comme Serge Gainsbourg ou Jean Ferrat, est décédé lundi soir à Paris à 91 ans, a annoncé son épouse à l’AFP. «Mon métier, expliquait-il au Monde en janvier 2019, consiste à rectifier une mélodie écrite avec maladresse pour que ce soit élégant. Cela peut être un passage harmonique, un changement de ton…».
Révélé sur le tard, Serge Gainsbourg fut animé toute sa vie par un besoin éperdu de reconnaissance. Alain Goraguer, qui faisait plus qu’orchestrer ses chansons, le comprit, et renonça à être crédité en tant que compositeur sur les six albums qu’ils confectionnèrent ensemble entre 1958 et 1963. Voilà qui en dit long sur la personnalité d’Alain Goraguer, qui n’a jamais réclamé sa part de lumière, bien au contraire. Impossible de trouver un musicien de son calibre aussi discret que lui. Aujourd’hui âgé de 88 ans, «Go-Go» vit retiré des studios – sa dernière réalisation fut celle de l’album Dante d’Abd Al Malik, en 2008. Mais son astre continue de briller, et sa musique n’en finit pas d’être découverte, à l’instar de sa contribution immense à la chanson populaire française.
C’est Boris Vian, dont on célèbre cette semaine le centenaire de la naissance, qui fut le premier à prendre la mesure du talent de ce natif de la région parisienne. Le romancier-ingénieur-musicien croise la route de son futur compositeur via la chanteuse Simone Alma. Ensemble, les deux hommes donnent naissance à un répertoire exceptionnel, que Vian défend sur scène avec Goraguer au piano. Vian, par ailleurs directeur artistique chez Fontana, permet au pianiste d’enregistrer sous son propre nom. Ces albums instrumentaux sont au cœur de l’anthologie proposée aujourd’hui par le label Frémaux
Après la mort de Vian, terrassé pendant la projection du film J’irai cracher sur vos tombes dont il a composé la musique, Goraguer développe une belle complicité avec le petit frère spirituel de celui-ci, Serge Gainsbourg. Les textes de ce dernier se marient à merveille aux mélodies qui jaillissent du piano de son complice, qui œuvre aussi pour les interprètes de «l’homme à tête de chou» comme France Gall sur Poupée de cire, poupée de son. Aux côtés de ses interventions ponctuelles chez Juliette Greco, Adamo, Melina Mercouri et d’autres, Alain Goraguer développe des relations au long cours avec Boby Lapointe et surtout Jean Ferrat.
Il continue par ailleurs à développer sa propre musique. La musique du film d’animation La Planète sauvage, qu’il compose en 1972, est totalement révolutionnaire. Sommet de psychédélisme et de sonorités d’avant-garde, la BO est devenue une référence pour les plus pointus des compositeurs de musique électronique qui considèrent Alain Goraguer comme un dieu et s’arrachent les pressages originaux de l’album, base de beaucoup de samples. Compositeur multicarte, homme d’un grand éclectisme, Alain Goraguer composera aussi le générique de l’émission des deux papesses télévisuelles de l’aérobic, Véronique et Davina dans les années 1980. Un parcours singulier pour un musicien hors norme.