Cela commence d’une façon assez comique, si l’on peut dire. Nous sommes le samedi 7 août 1954, jour des funérailles nationales de Sidonie-Gabrielle Colette, dite Colette, décédée le 3 dans son appartement du Palais-Royal. Sur un voilage sont projetés des extraits de l’événement. On entend la voix d’un journaliste, cette voix si particulière, si datée d’une autre époque. Une voix en noir et blanc. Est-ce celle de Pierre Dumayet ?

Derrière le voilage, une jeune femme ceinte d’une sorte de caftan blanc. C’est Colette – interprétée par Cléo Sénia, qui a vraiment tous les talents (elle écrit, joue, chante, danse). La romancière commente son propre enterrement et quand tombe la pluie d’hommages sur son cercueil, elle préfère s’en amuser. Colette, gloire nationale ? «Je suis bourguignonne !», miaule-t-elle. La médaille de grand officier de la Légion d’honneur posée sur le catafalque ? «Qu’elle est moche !» Ces centaines de couronnes mortuaires ? «Les fleurs sont faites pour les vivants, par pour les morts !» Présidente de l’académie Goncourt ? «Je ne l’ai jamais eu, ce prix !» Lorsque glisse le voilage, nous voyons apparaître celle qui n’est pas encore Colette mais Sidonie Gabrielle, fille de Jules Colette et d’Adèle Eugénie Sidonie. Sidonie-Gabrielle, coupe à la garçonne, nous fait immédiatement penser à la célèbre Claudine à l’école.

Cléo Sénia est désormais en jupe et chemisier noirs, et elle va, se fondant avec grâce dans la peau de Colette, nous conter la vie de «la grande scandaleuse» : son enfance à Saint-Sauveur-en-Puisaye, où est née la petite fille de la terre aux «longues tresses trop serrées qui sifflaient (…) comme des mèches de fouet» ; son arrivée à Paris et sa rencontre avec Willy, un écrivain qui n’écrivit jamais un seul ouvrage, un «metteur en pages et en forme», mais qui fera, presque malgré lui, la gloire de celle qui devint son épouse ; son goût pour le théâtre, la pantomime, ses scandales…

Le spectacle est admirablement mis en scène par Léna Bréban. Il fallait y penser, à ce dédoublement Sidonie-Gabrielle/Colette. La première, en col Claudine, apparaîtra tout au long de la pièce sur de petits écrans, multipliant les commentaires sur la vie de Colette, une vie d’une inconvenante liberté menée pied au plancher. Le texte de Cléo Sénia et d’Alexandre Zambeaux – parsemé de merveilleuses citations – aborde tous les thèmes chers à l’auteur du Blé en herbe : la nature, la condition féminine, la maternité, les amours bisexuelles, les trois mariages, la littérature qu’elle disait – figure de style ! – ne pas aimer, et bien sûr le music-hall, fil rouge de cette représentation. C’est aussi dans cette discipline que se révèle la sensuelle Cléo Sénia. Elle a l’effeuillage avenant et l’érotisme raffiné. «Chez moi, tout est physique», disait Colette. Comme son personnage, Cléo Sénia assume sa liberté de corps et d’esprit, et le public – avec lequel elle ne cesse de jouer – ne peut rester indifférent devant les numéros, ou plutôt les tableaux, de son «musicolette».

Jusqu’au 30 mars 2024, les jeudis, vendredis et samedis à 19h au Théâtre Tristan-Bernard, Paris (8e)