«Si un jour ça m’arrive»… Le spectre des violences sexuelles est dans toutes les têtes chez les recrues de l’école Kourtrajmé, en banlieue parisienne, qui forme les futurs talents, acteurs comme réalisateurs, d’un milieu secoué par
Ce qui la tourmente ? «Se dire que potentiellement, pour réussir dans le milieu qu’on aime, le milieu qui nous plaît, il faille qu’on passe par ce genre de choses-là», ajoute-t-elle, pesant ses mots dans son sweat à capuche gris. La plupart des jeunes talents qui répètent des textes classiques ce jour de début mars n’étaient pas nés dans les années 1980, à l’époque où le réalisateur Benoît Jacquot, alors quadragénaire, entamait une relation avec sa jeune actrice, Judith Godrèche, âgée de 14 ans. Après des décennies de silence, cette dernière a dénoncé publiquement l’emprise, les viols et les violences qu’elle aurait subis de la part de cette figure du cinéma d’auteur, contre lequel elle a porté plainte, ainsi que contre un autre réalisateur, Jacques Doillon. Une enquête a été ouverte.
La comédienne est depuis devenue la figure de proue de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le cinéma français. «C’est très important qu’on ait des modèles comme ça pour les jeunes filles, même les jeunes hommes, qui rentrent dans ce milieu», juge Beïdja Yahiaoui. Comme Judith Godrèche, elle estime que la question vaut pour «n’importe quel autre milieu». Les jeunes actrices doivent pouvoir se dire. «OK, je peux parler et c’est pas grave si, en finalité, je sacrifie quelque chose», poursuit-elle.
Directrice de la section acteurs de Kourtrajmé, l’actrice Ludivine Sagnier, 44 ans, connaît le milieu comme sa poche, elle qui tourne depuis le début des années 1990. Elle se dit pleine d’espoir de former des jeunes mieux armés face à ces violences.
«C’est une génération qui, de par le mouvement qui est en train de se produire en ce moment, est beaucoup plus alerte que la jeunesse d’il y a vingt ans que j’ai connue, explique-t-elle. Ils sont beaucoup plus armés pour faire face à ce genre de déviances parce qu’ils ont beaucoup d’exemples. Donc je sens qu’ils sont plus méfiants, moins inconscients que, nous, on pouvait l’être à leur âge».
Premières victimes, les jeunes actrices et acteurs sont loin d’être les seuls concernés par un phénomène qui touche l’ensemble des métiers du cinéma. «J’ai déjà été confrontée, moi à titre personnel, (à un) casting qui ne se passe pas très bien, où on vous demande éventuellement de vous déshabiller», raconte Fahina Bousba, 32 ans, qui a depuis choisi de se former à l’écriture chez Kourtrajmé. «Sur l’aspect scénario – je vais parler de ce que je connais -, je pense que je me suis surtout dit : c’est en écrivant de nouvelles histoires, avec un nouveau point de vue, qu’on va petit à petit faire changer l’état d’esprit global».
Une prise de conscience partagée par ses collègues masculins. «On peut tout faire, il y a juste une façon de le faire. Et c’est pas très intelligent comme raisonnement de se dire que, les nouvelles mentalités et le changement, ça va censurer qui que ce soit», estime Hadi Naïmi, 21 ans, également étudiant en scénario.
Loin de le détourner de sa vocation, les soubresauts actuels du septième art lui donnent «envie de changer les choses en vrai». «Ça donne envie d’essayer de faire différemment et (…) montrer qu’on peut faire du cinéma tout en étant respectueux. Et sans être un gros porc. J’ai pas d’autre mot, désolé.»