C’est sous un tonnerre d’applaudissements et des hourras nourris que Rima Abdul Malak, ministre de la Culture sortante, fit son entrée dans les salons bondés des maréchaux du ministère, pour la passation de pouvoir. Après vingt mois passés aux commandes, Rima Abdul Malak cède la place à Rachida Dati, nommée à la surprise générale pour prendre la relève. « Ma nomination, je comprends qu’elle puisse surprendre », a d’ailleurs admis l’ancienne Garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy devant tout ce qui compte de dirigeants et hauts fonctionnaires de la Culture. Avant d’ajouter : «Moi, elle ne me surprend pas, elle répond à un besoin d’une France populaire, c’est un combat de tous les jours, dans un monde où les défis sont nombreux.»
Peu au fait des méandres du milieu, la nouvelle ministre de la Culture était dans ses petits souliers, une posture qu’on ne lui connaît guère. Elle s’est d’ailleurs prudemment mise sous la coupe d’André Malraux, en faisant sien un des leitmotivs de cette grande figure tutélaire : «Une culture qui rende au plus grand nombre les œuvres capitales de l’Humanité.»
Ceci posé, elle a levé un coin de voile sur ce que serait son ère rue de Valois. «Chacun sait que j’aime me battre, n’ayez pas peur, je défendrai l’exception culturelle», a-t-elle lancé, à la satisfaction générale. Rachida Dati n’est-elle pas connue pour ses saillies contre Anne Hidalgo lors des conseils municipaux de Paris? Le matin même, sur RTL, l’ancien ministre de la Culture Frédéric Mitterrand avait tranché : qu’importe le fait que Dati « n’y connaisse rien » en culture, l’important est d’être entouré «d’une équipe très forte avec des nerfs solides».
Terrible constat pour le ministère, qui comprend qu’une page est en train de se tourner. Après la bosseuse-moine-soldat, qui se voulait loyale et fidèle au président de la République et voulait faire corps avec les artistes, un autre schéma se met en place. Ses contours ne sont pas encore très clairs, tant Dati-la-flingueuse semblait tout en réserve, derrière son micro. Nul doute qu’elle retrouvera sa capacité à «l’ouvrir» si tant est que l’Élysée et Matignon la laissent faire.
À front renversé, Rima Abdul Malak fit d’ailleurs plus que bonne figure, se montrant souriante et « fière de ce qu’elle a pu accomplir », devant les membres blêmes de son cabinet. «Il y a vingt mois, j’avais dit que devenir ministre n’était pas un rêve, au contraire d’être libre et le rester, a-t-elle indiqué. Je me suis au service à une ambition à laquelle j’ai cru, et je suis restée libre ». Avant de lister ses «avancées», dont la création du Centre national de la musique, des budgets solides, ou des nominations féminisées.
Elle que l’on disait «peu politique» et un brin techno a voulu «être une femme politique, autrement». Sans doute n’a-t-elle pas perçu à quel point un ministre peut difficilement s’opposer à un président de la République, surtout s’il n’est pas élu et s’il lui doit son ascension. Sans doute, également, n’a-t-elle pas compris que l’énergie mise à la tâche, elle qui ne comptait pas ses heures, ne faisait pas tout. Elle n’aura donc pas réussi à «déjouer la malédiction des deux ans» ( qui veut qu’un ministre de la Culture ne parvienne pas à durer au-delà).
Avant de partir, elle a lu un poème de l’écrivain Andrée Chedid – originaire du Liban comme elle-, intitulé Saison des hommes. Moment suspendu où l’on entendit résonner ces mots : «Sachant qu’elle nous sera ôtée, je m’émerveille de croire en notre saison, et que nos cœurs chaque fois refusent l’ultime naufrage. Que demain puisse compter, quand tout est abandon.»
On ne sait ce que l’avenir réserve, pour l’une comme pour l’autre, mais l’arrivée d’une personnalité de droite clivante rue de Valois promet quelques passes d’armes. Vendredi matin, certains s’en réjouissaient, d’autres au contraire y voyaient un signe du désintérêt politique de l’Élysée pour ce milieu réputé à gauche.