«À tous les spoliés de la Terre, trahis, volés ou dépossédés, à commencer par les innombrables membres des “premières nations”, américaines et canadiennes, dont ce récit se veut bien sûr un hommage respectueux», écrit en préambule Eldiablo, scénariste du western Carcajou. Une ambition menée avec brio. L’ouvrage de 220 pages réunit tous les ingrédients d’un récit à la fois édifiant et haletant.
Carcajou emmène le lecteur dans le Grand Nord canadien de la fin du XIXe siècle. Jay Foxton, entrepreneur sans scrupule règne en maître sur la petite ville de Sinnergulch avec la complicité du maire et de la police. Malgré sa richesse et son pouvoir, l’industriel lorgne du côté du terrain de Gus Carcajou, un solitaire au tempérament violent vivant à l’écart de la société tout en exploitant ses maigres mines d’or. Mais le monde évolue , «l’or c’est fini…L’avenir c’est le pétrole», estime le businessman. Or, Gus, ce «fils de démon» comme le surnomment les habitants de la ville, vit sur une terre riche en pétrole. Convoitant furieusement cette manne, Jay Foxton n’hésitera pas à fomenter les pires stratagèmes pour parvenir à ses fins.
Massacres, scènes d’action fracassantes, vengeance, grands espaces, chasse à l’homme, spoliations, légendes indiennes, drames familiaux et histoires romantiques composent la riche trame de Carcajou. Un album qui tient en haleine le lecteur de la première à la dernière page. Une galerie de personnages hauts en couleurs confrontés à des hommes dénués de limites, capables de la plus grande férocité et des plus grands abus se démènent dans une intrigue palpitante empreinte de fantastique et saupoudrée de quelques pincées d’humour. Eldiablo a concocté une histoire de vengeance sur fond d’essor de l’industrialisation du Grand Nord canadien où l’iniquité et la douleur sont de rigueur, entre nature défigurée par les puits de pétrole, sombres tractations et pauvres âmes spoliées de leur bout de terre. Les auteurs offrent une immersion dans un temps dénué de morale où peu de personnes sortent grandies.
Le foisonnement de couleurs chaudes, l’expressivité outrée des personnages, le trait semi-réaliste et vivace de Djilian Deroche inscrit Carcajou dans la veine des nouveaux westerns, inondant la BD depuis quelques années, dépoussiérés des poncifs établis par le sacro-saint Jean Giraud alias Moebius. Le dynamisme apporté par la variété de cadrages et d’ambiances, oscillant entre bar enfumé et grands espaces, les retours dans le temps qui plongent le lecteur dans de bien sombres secrets de famille contribuent largement au plaisir de lecture.