Drame de Stéphane Demoustier, 1h58
Cent mille euros, rien que pour désigner quelqu’un à l’aéroport de Bastia. Melissa (Hafsia Herzi) hésite, mais pas longtemps. Elle découvrira assez vite que l’argent a une odeur. L’héroïne est surveillante pénitentiaire. Elle débarque de Paris pour refaire sa vie en Corse, avec son mari sans travail et sa fille qui voudrait un vélo. Un nouveau départ, voilà ce qu’elle espère. La prison de Borgo fonctionne sur un régime ouvert. On dirait presque que les détenus ont un œil sur les gardiens. La directrice, modèle d’administration découragée (Florence Loiret-Caille), informe là-dessus sa jeune recrue. L’île a ses lois, qui ne sont pas celles du continent. Les condamnés jouent aux cartes dans un local. Les mégots s’entassent dans les cendriers et les assiettes sales dans l’évier. Tout de suite, à cause de son prénom et d’une chanson, Mélissa décroche le surnom d’Ibiza. Elle rend des services, rapporte des cigarettes, procure un ventilateur à un asthmatique. Cela pousse un gentil malfrat qui assure sa protection à lui proposer un marché. À quelle heure arrive l’avion de Genève tel jour ? Melissa accepte de bon cœur ces menues compromissions, fréquente la paillote où se retrouvent des voyous qui n’ont pas l’air si méchants que ça. C’est le doigt dans l’engrenage. Il y aura deux morts. Avec Borgo, prix du jury à Reims Polar, Stéphane Demoustier (La Fille au bracelet) redonne du rose aux joues du polar carcéral grâce à ce portrait de femme volontaire qui ne se laisse pas marcher sur les pieds et qui se retrouve plus ou moins malgré elle dans une combine mafieuse. É.N.
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Comédie de Shane Atkinson, 1h52
Le polar grinçant de Shane Atkinson sur un cocu suicidaire confondu avec un tueur à gages et décidant de jouer du quiproquo a fait un rare triplé à Deauville : grand prix du jury, prix du public et prix de la critique. Si Shane Atkinson avait cosigné en 2019 le scénario de la comédie de «cheerleaders » du troisième âge Pom Pom Ladies, avec Diane Keaton, cette fois, il s’aventure vers le genre qui le fascine depuis l’enfance : les histoires de détective et de crime. Les créateurs des détectives privés iconiques Philip Marlowe et Sam Spade ont sa préférence. Ray, ce loser que la vie n’a cessé de rabaisser et qui, par un coup du sort, se glisse dans les habits d’un tueur et se découvre une autre envergure, lui est venu naturellement. « Contrairement à Aaron Sorkin, qui compose des protagonistes intelligents et compétents, comme dans The Social Network, façonner des perdants sympathiques et malchanceux est plus dans mes cordes. C’est plus proche de moi », confie le cinéaste. Shane Atkinson reconstitue au Nouveau-Mexique une petite ville texane imaginaire qui ressemble à tant d’autres de l’État : poussiéreuse, aux vieilles maisons, aux motels et diners décatis… Un bled où chacun se reconnaît. C’est ce mélange de sérieux, d’humour noir et de comédie que Shane Atkinson insuffle dans son nouveau projet : un film d’horreur. C.J.
Documentaire de Nicolas Philibert, 1h12
On dirait des poules devant un couteau. Ce sont des hommes devant une machine à écrire. Patrice ne comprend pas pourquoi elle ne marche pas. « Elle est toute neuve. » Walid et son acolyte ne sont guère plus avancés. « On n’est pas des spécialistes », dit le premier. Les bricoleurs ouvrent le ventre de la machine. « Du coup, vous avez plein de textes en retard ? », compatit Walid. «J’en écris deux par jour, actuellement », répond Patrice. Nicolas Philibert filme la conversation. Enfin, la machine remarche. Le vrai métier de Walid est ergothérapeute. Il travaille sur L’Adamant, péniche amarrée sur la Seine au cœur de la capitale. Cette unité flottante du pôle psychiatrique de Paris Centre accueille des patients le jour pour toutes sortes d’activités. Nicolas Philibert a filmé ce bateau et ses naufragés dans Sur l’Adamant, ours d’or à la Berlinale en 2023. Il a poursuivi son immersion en psychiatrie à terre, dans Averroès
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Drame de Jawad Rhalib, 1h51
Enseignante en littérature à Bruxelles, Amal est juste une bonne professeur qui croit encore qu’elle peut ouvrir les esprits, enrichir les débats, bousculer les certitudes des élèves grâce à l’apprentissage des grands textes. Dans sa classe, Monia, une collégienne discrète, est violemment harcelée par quelques camarades qui lui reprochent d’être « une sale lesbienne ». C’est haram (interdit selon le Coran), s’insurgent-ils. L’un d’eux est renvoyé pour une semaine, et Monia devient la cible de harcèlements sur les réseaux sociaux. Pour la défendre, Amal décide de leur faire découvrir les écrits d’Abu Nuwas, célèbre poète arabo-musulman du VIIe siècle, bisexuel et profondément religieux. Un choix bien trop subversif pour certains, embrigadés par le professeur de religion du collège, un imam influent de leur quartier. Malgré les intimidations, la peur, la lâcheté de ses collègues qui l’abandonnent pour éviter les remous, Amal ne cède pas. Le réalisateur Jawad Rhalib a grandi au Maroc. Défendre la richesse de l’Islam face à la censure grandissante des extrémistes est l’un de ses combats. Dans son superbe documentaire Au temps où les Arabes dansaient (2018), ce réalisateur belgo-marocain dénonçait l’islamisation de la culture arabe. Avec Amal. Un esprit libre, il s’attaque à la dérive de la radicalisation qui menace la liberté d’enseigner et la laïcité à l’école. Ce thriller sans concession, intense et tendu, questionne avec nuance là où ça fait mal, sans émettre de jugement, mais la recommandation de garder un esprit libre.V.B.
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Thriller de Dev Patel, 2 heures
Dans ce thriller d’action dont il est aussi le scénariste et le réalisateur, Patel incarne Kid, orphelin en bas de l’échelle sociale. Il végète dans un club de combats clandestin. Nuit après nuit, le visage caché par un masque de singe, il se laisse battre par des combattants assoiffés de sang, sous les cris d’une foule hystérique, le tout pour une poignée de roupies. Le déclic a lieu lorsqu’il reconnaît l’une des personnes qui a massacré son village et assassiné sa mère sous ses yeux. Cet être vulnérable se met alors en quête de vengeance. Filmé avec les tripes, Monkey man, un peu long il est vrai, joue beaucoup avec l’exubérance des codes de Bollywood. Mais un parfum d’authenticité plane sur ces séquences d’action qui s’enchaînent comme à la parade, y compris une hallucinante course-poursuite en rickshaw customisé. Sous ses airs de pur divertissement grand public, Monkey Man dénonce les injustices de castes en Inde, ainsi que les violences faites aux femmes ou aux « hijras », cette communauté indienne appartenant au « troisième genre ».O.D.
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Documentaire de Stéphane Carrel, 1h30
Steven McRae est Principal au Royal Ballet. Né en Australie, médaille d’or au Prix de Lausanne, sa danse a du brio. C’est un danseur puissant, extrêmement physique qui se sent pousser des ailes lorsqu’il entre en scène. Sa carrière fulgurante s’arrête net lorsqu’il se rompt le tendon d’Achille en 2019 en pleine représentation de L’histoire de Manon. Accident gravissime qui le laisse un an en béquilles et lui permet de s’occuper de ses trois petits enfants. Le documentaire de Stéphane Carrel s’attache à suivre son retour sur scène. On passe beaucoup de temps dans les impressionnants locaux de remise en forme du Royal Ballet. La rééducation consiste à modifier les appuis du danseur pour qu’il puisse revenir en scène. Ça c’est la partie immergée de l’iceberg. Le plus intéressant, c’est la manière dont le doute le travaille et l’incite à mesurer son effort, écouter les sensations de fatigue et essayer de sensibiliser les jeunes danseurs à l’importance de cet exercice. Après deux ans, McRae gagne sa bataille et retrouve Covent Garden. Il a 36 ans. Une belle réflexion sur le rapport du danseur à la meilleure manière d’utiliser son corps. A.B.
Action d’Alex Garland, 1h49
Un panache de fumée noire s’élève de la skyline de New York. La Grosse Pomme est une ville en guerre. Le reste des États-Unis est aussi à feu et à sang. Des voitures cramées jonchent les routes. Des hommes en armes tiennent des barrages et des check-points. Alex Garland transpose sur le sol américain un imaginaire lointain dans la réalité (guerres au Moyen-Orient et en Ukraine) et familier à l’écran (La Guerre des mondes, The Walking Dead). Civil War se situe dans un futur proche. Il résonne aussi avec un passé ancien, une guerre civile ayant déjà fracturé l’Amérique dans les années 1860 – en français, on l’appelle la guerre de Sécession. Mais on ne saura pas grand-chose sur les racines historiques et idéologiques de ce nouvel affrontement. On aperçoit à peine le président, reclus et traqué. Il a un faux air de Donald Trump. Les deux camps opposés sont peu vraisemblables. L’armée de l’Ouest rassemble le Texas et la Californie. Elle combat l’Alliance de Floride. Garland choisit de filmer la guerre à travers les médias. La presse écrite, plus précisément. Il met en scène une espèce en voie de disparition. La photoreporter Lee Smith (Kirsten Dunst) a tout vu de l’horreur humaine. Elle a des états d’âme. La jeune Jessie (Cailee Spaeny) n’a rien vu. Elle a le cœur sensible. Les deux femmes embarquent avec deux rédacteurs dans une voiture en route pour Washington. Le scénariste de 28 jours plus tard lambine dans les deux premiers tiers du film. Entre deux discussions sur le sens du métier, riches en clichés et lieux communs, la « patrouille » de reporters croise des militaires plus ou moins las. Le dernier tiers, intrusion «embedded » des journalistes dans la Maison-Blanche, ressemble à un jeu vidéo. Un « shoot’em up » qui voit la garde rapprochée du président tomber comme des mouches. Une dernière « quote » du président conclut un final ridicule. Civil War démarre en trombe aux États-Unis, signe d’un film d’action inoffensif et consensuel plus que d’un brûlot politique audacieux. É.S.
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