Tambour d’Ari Aster, 2h59

Il était moins une. Beau is Afraid dure 2 heures 59 minutes. Ouf. Il aurait sans doute été impossible de supporter une seconde de plus. Pourtant, le début s’annonçait bien. Certes, Joaquin Phoenix n’a pas l’air en pleine forme, sur le divan de son analyste. Ce quinquagénaire grisonnant et enrobé a visiblement des problèmes. Cela ne date pas d’hier. Le praticien lui demande s’il a toujours envie de tuer sa mère. Bonne question. Beau doit d’ailleurs lui rendre visite en Floride. Avant cela, il faut qu’il rentre chez lui. La tâche n’est pas simple. Pour rejoindre son immeuble, il est obligé de traverser une rue jonchée de cadavres, remplie de clochards menaçants, d’inconnus tatoués des pieds à la tête, d’éviter un serial-killer en tenue d’Adam. Ari Aster, dont le Midsommar avait frappé, illustre avec Beau Is Afraid les méfaits combinés de Hollywood et de la psychothérapie. Ses producteurs lui ont laissé carte blanche. Ses fantasmes sont ceux d’un milliardaire en roue libre. La forme emprunte au dessin animé, au film d’horreur, à la téléréalité, au grand-guignol. Tout ça pour ça. E.N.

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Documentaire d’Alain Cavalier, 2h04

Parce que c’était eux. Parce que c’était lui. Alain Cavalier est un cinéaste rare, dans tous les sens du terme. Il filme à la première personne et ne parle que des autres. Il s’intéresse à eux. Cet intérêt n’est pas feint. L’Amitié se compose de trois portraits. D’abord, il y a Boris Bergman. Muni de sa petite caméra, Cavalier a rendu visite au parolier de Baschung. Il lui demande d’écrire au stylo-plume les refrains de Vertige de l’amour. Alain Cavalier privilégie les gros plans, s’attarde sur un carré de chocolat, scrute les visages et les objets, montre la blancheur d’un bras. Comme un peintre, il apprécie les détails. On sent qu’il aime ce qu’il voit. Il est attentif, d’une politesse chaleureuse. Ça n’est rien, juste le temps qui passe, un peu de tristesse, des rires qui éclatent, comme des fusées dans la nuit. Cela ne ressemble à rien. Cela s’écrit amitié. Cela se prononce Cavalier. C’est simple comme bonjour. C’est très beau. E.N.

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Il est des films dont on ressort avec un sentiment de jubilation. Misanthrope, de l’Argentin Damian Szifron, procure cet effet-là. Au cours de la Saint-Sylvestre, les nantis de Baltimore font la fête sur les terrasses de la ville. Dansant, chantant ou sabrant le champagne, juste avant le décompte vers la nouvelle année, ces privilégiés n’ont d’yeux que pour les feux d’artifice pétaradants, multicolores, une explosion sonore. C’est précisément ce moment-là que choisit un mystérieux tireur pour frapper la ville. Avec une précision vertigineuse, ce serial killer exécute vingt-neuf victimes. Le meurtrier de masse (« mass murderer ») a disparu sans laisser de trace. Seule une fliquette déterminée, aux idées noires (Shailene Woodley, formidable), a eu l’intuition du massacre en cours. Un vétéran du FBI (l’Australien Ben Mendelsohn, admirable de conviction et de profondeur) a pris les choses en main. C’est lui que la ville et les pouvoirs publics ont chargé de faire toute la lumière sur l’affaire. Rapidement, il monte une cellule d’enquête restreinte pour lancer sa chasse à l’homme, alors que le compte à rebours est déclenché. La ville veut un coupable pour calmer la foule. Misanthrope est un film aussi glauqe que rejouissant. À chaque scène, on ressent quasiment le plaisir d’un cinéaste qui revient aux affaires. Chaque séquence possède sa touche d’originalité, son petit pas de côté filmique et son lot d’adrénaline cinématographique. La direction d’acteurs est très soignée. Sous ses airs de polar psychologique ajusté, il s’agit en fait d’un film surprenant, violent, dérangeant, d’une incroyable densité dramatique. Le grand thriller de ce printemps. O.D.

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Drame de Emin Alper, 2h08

Bienvenue à Yaniklar, petite ville reculée de Turquie. En pleine vague de chaleur, l’eau est rationnée. Les nappes phréatiques sont épuisées, la sécheresse provoque des cratères destructeurs, mais le maire compte se faire réélire en promettant à la population que les robinets couleront à flots. La référence à Un ennemi du peuple n’est pas un hasard. Le réalisateur turc Emin Alper cite la pièce d’Ibsen comme l’une de ses principales sources d’inspiration. Burning Days, présenté au dernier Festival de Cannes dans la section Un certain regard, tient du western et du thriller paranoïaque. Plus Emre enquête et envoie les notables en prison, plus il construit lui-même le piège qui finira par l’enfermer. La prison est aussi mentale. Elle refoule des désirs homosexuels. Les visions d’Emre sont à ce titre indéfinissables. Souvenirs, hallucinations ou fantasmes, la mémoire défaillante du jeune procureur se reconstruit de façon chaotique. Les pièces du puzzle ne s’assemblent jamais parfaitement. La vérité se dérobe. E.S.

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Drame de Wissam Charaf, 1 h 23

Des ellipses, un cadrage resserré, peu de dialogues. Le réalisateur emploie une élégante sobriété pour raconter cette histoire d’amour qui aurait tout pour être sombre. Dans un Beyrouth inhospitalier, un rescapé de la guerre en Syrie aime une femme à tout faire éthiopienne, traitée parfois comme une esclave. Ils vont s’échapper. Leur romance est délicate. Peut-être, seulement, aurait-elle pu accoucher d’une intrigue plus audacieuse. B. P.

Comédie dramatique d’Andréa Bescond et Éric Métayer, 1 h39

Cinq ans après Les Chatouilles, André Bescond et Éric Métayer imaginent les résidents d’une maison de retraite forcés de cohabiter avec les élèves d’une école élémentaire dont la cantine est en travaux. Un scénario invraisemblable destiné à combler le fossé entre les générations. Un peu comme Michel Blanc retournant à l’école dans Les Petites Victoires. Quand tu seras grand, sous ses dehors de comédie familiale, a néanmoins le mérite de montrer le grand âge, les corps vieillissants et la mort sans tabou. É. S.

Drame de Kim Chapiron, 1 h 38.

Ali, jeune adolescent voleur, est envoyé au village au Mali par sa mère pour faire son éducation auprès d’un imam. Il revient en France dix ans après, converti en musulman moderne et tolérant, plébiscité pour devenir le nouvel imam de la cité. Sa popularité est renforcée quand il organise un pèlerinage à la Mecque. Les choses se compliquent après, mais on peine à saisir l’enjeu du scénario, inspiré d’une histoire vraie. Comme quoi la vérité ne suffit pas toujours. É. S.

Drame de Hajime Hashimoto, 1h30

Ballade dans le Japon du XVIIIe siècle, lorsque les Samouraïs font des descentes dans les rues des artistes de théâtre et des peintres d’estampes. C’est là que Hokusai, jeune homme en colère, trouve sa voie en peinture. Une biographie pittoresque mais un peu trop appuyée pour l’art délicat de l’estampe. La caméra s’efforce de faire rentrer La Vague ou les Vues du Mont Fuji dans les promenades et les errances du peintre. Le maître aurait mérité une évocation plus inspirée A. B.