Dans les hautes montagnes du nord du Liban, un musée dédié à l’écrivain Gibran Khalil Gibran dans sa ville natale commémore cette année le centenaire du Prophète, l’œuvre la plus connue de l’auteur devenu célèbre outre-Atlantique.
Depuis sa mort en 1931, la dépouille de celui qui fait la fierté de la petite ville de Bcharré est conservée dans une grotte dans le sous-sol du musée qui perpétue sa mémoire et où des exemplaires de son œuvre majeure peuvent être consultés dans plusieurs langues. Véritable best-seller, Le Prophète est devenu le livre de chevet de millions de lecteurs à travers le monde, son œuvre phare publiée en 1923 aux États-Unis et traduite en 115 langues. Le livre a connu une telle popularité qu’il est souvent cité dans les mariages et les enterrements aux États-Unis, où Gibran a conçu la majeure partie de son œuvre, écrite en anglais comme en arabe et où il menait la New York Pen League, première société littéraire arabo-américaine.
L’œuvre, composée de 26 textes poétiques «se rapproche de la spiritualité de chaque individu, en abordant les thèmes de la mort, de la vie, de l’amitié, de l’amour, des enfants et autres», déclare à l’AFP Joseph Geagea, directeur du musée Gibran Khalil Gibran. Lors d’une soirée de lectures du Prophète, organisée récemment dans le cadre du salon du livre de Beyrouth, l’écrivain libanais Alexandre Najjar, rappelait que dans les années 1960, le livre avait été adopté par «le mouvement hippie» notamment pour la fameuse phrase : «Vos enfants ne sont pas vos enfants (…) ils viennent à travers vous et non de vous».
Des dirigeants et célébrités du monde entier, tels que l’ancienne impératrice Michikodu Japon, la défunte Première ministre indienne Indira Gandhi ou encore John Lennon des Beatles étaient attachés au livre, selon M. Geagea. Elvis Presley «l’a annoté, il était amoureux de ce livre à tel point qu’il l’offrait à ses amis à chaque anniversaire»
Dans Le Prophète, «le style biblique est omniprésent», souligne-t-il, notamment à travers l’emploi de la phrase «en vérité, je vous le dis» par laquelle le Christ s’adressait à ses disciples. Le livre, qui serait parmi les plus lus après la Bible, est également proche du livre Ainsi parlait Zarathoustra du philosophe allemand Friedrich Nietzsche, mais Gibran semble «plus poétique et moins philosophique», dit M. Najjar, notant des «emprunts au soufisme».
Sur une table du musée de Bcharré, où Gibran est né en 1883, sont exposées les 11 traductions du livre Le Prophète, parues de 1923 à 1931. Sa bibliothèque répartie sur quatre pièces, comprend Les Misérables de Victor Hugo, des récits de Sherlock Holmes, ainsi que des livres d’Histoire de théologie et philosophie. Le musée, entouré d’une forêt de chênes surplombant la vallée sainte de Qadicha, a été créé dans ce qui était auparavant un monastère construit au XVIIIe siècle, que Gibran Khalil Gibran fréquentait enfant.
Gibran, qui était également peintre, s’y rendait pour dessiner l’abbé du monastère au fusain. Selon M. Geagea, ses 440 peintures, parmi lesquelles 150 sont exposées au musée, portent en elles «sa profonde vision spirituelle de l’existence, de la mort et de la vie à la fois». De nombreux nus sont également exposés.
Né au Mont-Liban à l’époque ottomane, «Gibran avait un fort désir de retourner à Bcharré, qu’il a quitté à l’âge de douze ans avec sa mère, son frère et ses deux sœurs. Mais il est mort aux États-Unis», ajoute-t-il, avant que ce souhait ne se réalise. Après sa mort, les moines acceptèrent de vendre le monastère et les terrains l’entourant à sa sœur Mariana. Il a été transformé en lieu de sépulture en août 1931, puis en musée pour ses œuvres et objets de collection, qui accueille 50.000 visiteurs par an, venus des cinq continents, selon Joseph Geagea.
À l’occasion du centenaire du Prophète, la direction du Musée a participé en avril à une exposition au siège de l’ONU à New York. M. Geagea explique que le musée «a sélectionné 23 tableaux, en référence à l’année 2023 (…), représentant notamment des personnes qui ont joué un rôle fondamental dans Le Prophète, comme la mère de Gibran, son principal soutien».